L’épisode de la tour de Babel constitue "une bénédiction, un événement heureux à la faveur duquel l’humanité, en vérité, s’est ralliée aux voies de sa réalité plurielle".
"Avec l’Union européenne, je me réjouis que l’Europe continue de pratiquer ce multilinguisme, à l’encontre du "globish" régnant de plus en plus à l’échelle de la mondialisation. Je puis certes comprendre que l’anglais représente une langue de service pour une compréhension simplifiée dans la vulgarisation scientifique, les hôtels, les aéroports, etc. Mais il est dangereux de ne plus chercher et puiser à travers nos différentes langues. Une langue est une vision du monde. Et l’Europe a le privilège de penser en langues multiples."
"Dans les congrès et colloques, où il est de bon ton de parler anglais, les communications se font dans une langue épouvantable. J’insiste donc sur ce point : une géopolitique des langues nécessite une politique de traduction. L’Union européenne elle-même développe plus de 500 combinaisons traductives. Même s’il est vrai qu’existent encore des langues relais. Il faudrait considérer le prix à payer pour un retour à la langue unique."
"Notre monde pluriel ne peut s’accommoder de superlangues. Il appelle un dialogue traductif qui permette de faire partager des valeurs, des spiritualités. La traduction est un paradigme qui s’accompagne d’une méthode et d’une éthique. Je préfère une traduction responsable ("répondre" comporte l’idée même de dialogue), une éthique d’hospitalité : j’aime à ce propos le mot "hôte", en français, qui se tourne dans les deux sens. Et je dis que la traduction est éthique parce qu’elle nous confronte à l’autre ; elle est épreuve de l’étranger."
François Ost nous invite à discerner entre le "tout autre" (le barbare, chez les Grecs), l’"alter ego", un autre moi-même (...), ou enfin, selon le mot de Paul Ricœur, "soi-même comme un autre". "Dans ce dernier cas de figure, je ne suis pas complètement assuré de mon identité. L’autre et moi avons tous deux quelque chose à dire, aucun n’épuise son discours. C’est là qu’intervient l’éthique de la traduction, dans la mesure où l’autre est divisé comme moi-même."
Dans cet esprit, il importe de voir que la traduction commence déjà au sein de la langue maternelle. Est-ce que je me comprends moi-même ? Le malentendu fait d’emblée partie de la parole. Il existe des failles jusque dans les textes les mieux construits. "Le langage n’est pas seulement le vêtement de la pensée. Il est la pensée en actes, qui s’édifie, se développe. Les mots ne sont pas des étiquettes collées sur des idées toutes faites. Il est toujours des choses qui se disent mieux dans une autre langue. Et il se trouve parfois, dans la poésie surtout, une manière d’intraduisibilité, qui est le vrai défi à la traduction."
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Entretien Eric de Bellefroid, LLB, Mis en ligne le 05/11/2012
http://www.lalibre.be/culture/divers/article/775573/apologie-d-un-monde-pluriel.html