Ces dernières années, les scientifiques multiplient les observations mettant en évidence la façon dont les animaux se soignent. Singes, oiseaux, insectes... ont recours à leurs propres médicaments. Et inspirent parfois les humains.
Voici comment les singes, oiseaux ou insectes se soignent.
La primatologue française Sabrina Krie a montré que les chimpanzés consommaient les feuilles du Trichilia rubescens, une plante qui contient des molécules actives contre le paludisme. D’autres individus atteints de troubles digestifs se tournent vers l’écorce d’Albizia, aux vertus antiparasitaires. ©Tonneau Michel
Les humains sont habitués à recourir à l’automédication pour tenter de soigner eux-mêmes les petits – et parfois plus grands – maux du quotidien.
Largement répandue, cette pratique n’est pourtant pas propre à notre espèce. Depuis une trentaine d’années en effet, les observations qui mettent en évidence des comportements d’automédication chez les animaux se sont multipliées, donnant naissance à une nouvelle discipline appelée zoopharmacognosie, soit l’étude des substances naturelles consommées par les animaux à des fins thérapeutiques.
"On retrouve dans plusieurs études un grand nombre de plantes utilisées dans les pratiques de médecine traditionnelle et qui sont également consommées par les animaux pour se soigner ou prévenir divers maux." (Julie Carette, bioingénieure et chercheuse en pharmacognosie à l’UMons).
De nouveaux travaux publiés par des chercheurs espagnols fin novembre suggèrent ainsi que la grande outarde, considérée comme le plus lourd oiseau du monde capable de voler, consommerait deux plantes spécifiques pour se prémunir des infections. Lors des grands rassemblements pendant lesquels les oiseaux mâles et femelles se retrouvent en grand nombre sur des sites de reproduction, les scientifiques ont remarqué que les volatiles se mettaient en quête de coquelicot et de vipérine pourpre, deux plantes connues pour leurs propriétés antiparasitaires et antifongiques. Des observations corroborées par l’analyse des leurs déjections, qui amènent les auteurs à émettre, avec une certaine prudence, l’hypothèse que l’outarde consomme ces plantes pour se protéger durant la saison des amours, où la transmission de maladies entre individus est généralement élevée.
De plus en plus d’observations
Pas vraiment surprenant, dit Julie Carette, bioingénieure et chercheuse en pharmacognosie à l’UMons : “Beaucoup d’écrits scientifiques rapportent des comportements d’automédication chez les primates, ainsi que chez les oiseaux. Le moineau du Mexique, par exemple, ou encore la mésange bleue et l’ara de Coulon. La zoopharmacognosie est un domaine relativement jeune, puisque la littérature scientifique sur ce sujet à proprement parler remonte au début des années 90. Mais Aristote et Plutarque avaient déjà émis des observations sur les chiens qui ingèrent de l’herbe. Et dans les années soixante, la primatologue Jane Goodall a également décrit des comportements d’automédication chez les primates, bien que ce ne soit pas au centre de ses études.”
La primatologue française Sabrina Krief, pour sa part, s’est véritablement spécialisée en la matière. En pistant des chimpanzés malades ou affichant des comportements inhabituels, elle a montré que ces animaux consommaient les feuilles du Trichilia rubescens, une plante qui contient des molécules actives contre le paludisme.
D’autres individus atteints de troubles digestifs se tournent vers l’écorce d’Albizia, aux vertus antiparasitaires. “Et on a également mis en lumière le fait que les femelles chimpanzés ingèrent des feuilles d’Aspilia pour les troubles liés aux menstruations”, complète Julie Carette.
L’objectif de ces recherches est de mettre au jour de nouvelles molécules susceptibles d’aboutir à des traitements curatifs pour l’homme. Certaines substances intéressantes ont été identifiées, mais le chemin est encore long. Cependant, “même s’il ne s’agit pas de pharmacie telle qu’on la connaît en Occident, on retrouve dans plusieurs études un grand nombre de plantes utilisées dans les pratiques de médecine traditionnelle et qui sont également consommées par les animaux pour se soigner ou prévenir divers maux”, souligne notre interlocutrice.
L’ara de Coulon, le singe hurleur ou les tortues de Hermann pratiquent aussi la géophagie – la consommation de terre – pour neutraliser la toxicité de certaines plantes qu’ils ont mangées, se supplémenter en minéraux ou soulager des troubles digestifs (...)
Les insectes aussi
À côté des primates et des oiseaux, les insectes ne sont pas en reste. Certaines espèces de fourmis et d’abeilles sont notamment connues pour recourir à la résine de conifère – aux propriétés antifongiques et antibactériennes – pour désinfecter leurs nids.
“Lorsque la chenille Gracia incorrupta est infestée, sa consommation de plantes riches en alcaloïdes pyrrolizidiniques augmentera afin de créer un environnement hostile à son parasitoïde”, poursuit Julie Carette, ajoutant que l’observation du papillon monarque a montré que “la femelle infestée par des parasites pondait ses œufs sur des plantes qui ont des propriétés toxiques pour ce pathogène”, protégeant du coup sa descendance. Un comportement “qui a inspiré les hommes dans la lutte contre le paludisme en favorisant le développement des plantations de plantes répulsives” contre les moustiques.
D’autres animaux affichent en outre des techniques de soins un peu plus sophistiquées, tel le singe capucin qui, pour traiter ou se prémunir de certains ectoparasites, va s’enduire le pelage d’agrumes et de gousses de solané, après les avoir préalablement mâchés et mélangés à sa salive. Certains oiseaux, comme le geai bleu, recourent de leur côté au formicage pour lustrer leur plumage. Une pratique qui consiste soit à se placer au-dessus d’une fourmilière pour exposer les plumes à l’acide formique que les assiégées vont projeter pour se protéger, soit à attraper les fourmis et les presser avec le bec avant de s’appliquer cette “brillantine naturelle”.
Un mélange d’inné et d’apprentissage ?
Quelle est la part d’inné et d’apprentissage dans ces comportements ? Un peu des deux probablement, juge la chercheuse montoise, notant que “plusieurs études ont démontré que des animaux élevés en captivité ont ce genre de comportement sans qu’ils aient pu l’observer chez leurs pairs. Ceci appuie bien l’idée qu’il existe quelque chose d’inné”. Le fait d’adopter certains comportements à risque, en se plaçant au-dessus de fourmis ou en ingérant des plantes qui peuvent amoindrir la vigilance de l’animal et ses capacités à se défendre en cas de problème “démontre aussi un certain niveau de réflexion et de conscience” de la balance risque-bénéfice.
Intéressants et interpellants, ces travaux reposent cependant majoritairement sur des observations, ce qui présente certaines limites. D’une part, en raison du risque de biais anthropomorphique qui peut fausser les interprétations ou encore la difficulté d’étudier ces comportements dans le temps long et de l’impossibilité de constituer un groupe témoin, comme le veut la démarche scientifique classique.
Pour autant, conclut Julie Carette, “je pense que le regard occidental que nous portons aux animaux doit changer drastiquement, beaucoup de peuples et tribus primitives ont tiré toute une partie de leurs pharmacopées des observations des animaux, beaucoup de technologies ont directement été inspirées des animaux et de la nature et je pense qu’ils n’ont pas fini de nous souffler des solutions surtout face aux défis environnementaux et de santé publique qui nous attendent.”
Gilles Toussaint, Journaliste La Libre Belgique. Responsable de la rubrique Planète - Inspire
Larges extraits d’un article publié le 03-01-2023