^{La méthode d’évaluation par les pairs}
Monique Baus
Journaliste service Belgique
Publié le 17-05-2022

Les grosses sessions d’examens vont-elles disparaître au profit d’une évaluation tout au long de l’année scolaire ?

Une réflexion est inévitable dans l’enseignement obligatoire, à cause du changement de rythmes annuels qui doit intervenir dès la prochaine rentrée. Mais la question agite aussi l’enseignement supérieur. "Lentement et progressivement, on va évoluer vers une organisation en modules de six semaines avec, chaque fois, des cours, des stages et des évaluations", rapporte le professeur Franck Verschuren, chef de clinique aux urgences des cliniques Saint-Luc.

"Plus intelligent qu’un QCM"

Dans le cadre de cette transformation, l’évaluation par les pairs fait petit à petit son trou. La littérature scientifique la considère de plus en plus comme importante. Mais sur le terrain aussi, quelques précurseurs l’utilisent déjà. C’est le cas de Franck Verschuren, depuis trois ans, avec ses étudiants de deuxième année en médecine. "C’est un grand groupe de 250 étudiants, explique-t-il. Je voulais trouver quelque chose de plus intelligent qu’un questionnaire à choix multiples (QCM), malgré la difficulté liée à la correction d’un très grand nombre de copies." D’où l’idée que les étudiants se corrigent entre eux.

"Dans le cadre d’un cours sur la respiration, ils doivent réaliser un devoir individuel sur un polluant atmosphérique. Chaque copie est évaluée par 6 à 9 étudiants dont la mission est d’exprimer un feedback positif pour l’auteur de chaque travail." Conscients de l’importance de leur rôle, les étudiants évaluateurs avaient tendance à mettre d’excellents points à leurs camarades. Il a donc fallu affiner. "L’idée est de comparer les copies deux par deux et de désigner chaque fois quelle est la meilleure, en fonction de plusieurs critères listés au départ. Chaque copie est comparée plusieurs fois et par différents évaluateurs. Le logiciel informatique établit ensuite lui-même le classement." Ainsi, au lieu d’avoir 250 copies à corriger, le professeur met quelques points dans le classement des copies et le système informatique fait le reste.

"Au début, les étudiants étaient craintifs"

Dans une recherche qu’elle présentera ce mardi soir à l’UCLouvain (voir plus bas), la professeure Liesje Coertjens (sciences psychologiques) a mesuré les effets de cette méthode par comparaison qui permet d’éviter le piège de la complaisance.

Comment évaluer de façon objective ? La question est au cœur de son travail. "Évaluer les travaux des étudiants n’est pas quelque chose de simple", déclare-t-elle. Et de raconter comment elle l’a un jour constaté personnellement. "J’étais assistante. Je devais imprimer les copies d’un examen de statistiques et corriger plusieurs questions. J’ai dû relancer l’impression après blocage de l’imprimante, et je ne me suis pas rendu compte que j’avais deux fois la même copie. Je ne me suis pas aperçue non plus que je l’avais corrigée deux fois… avec des résultats différents !" Depuis, elle se passionne pour la question.

Sur le terrain, l’évaluation par les pairs porte ses fruits. "Au début, les étudiants étaient un peu craintifs et très surpris de cette responsabilité. Aujourd’hui, je vois que leur motivation et leur implication sont extraordinaires, relate Franck Verschuren, qui se réjouit de ce que cette expérience leur apprend. Côté évaluateurs, l’obligation d’exprimer un feedback positif les fait réfléchir à comment dire les choses, ils apprennent la nuance. Et côté évalués, ils apprennent à recevoir des remarques."

D’après la littérature scientifique, les étudiants évalués par leurs pairs progressent d’ailleurs plus que les autres. Pour autant, le professeur Franck Verschuren n’est pas prêt à l’imposer en session comme seule méthode d’évaluation. "C’est une sacrée révolution mais encore en période de test, donc à utiliser prudemment", conclut-il.