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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Changer de lunette et changer d’assiette...
Une vision planétaire
Un vieux monde est en train de s’écrouler...
Article mis en ligne le 27 mai 2008
dernière modification le 28 avril 2013

L’épilogue du livre de Thierry Verhelst "Des racines pour l’avenir" résonne pour moi avec des accents prophétiques. Le "nouveau rêve" que les peuples du Nord ont l’urgence d’adopter, à une dimension à la fois écologique, socio-politique et intérieure, spirituelle. En voici quelques extraits qui, je l’espère, vous donneront envie de lire ce très beau livre.

UNE VISION PLANÉTAIRE

Un vieux monde est en train de s’écrouler.

La situation de la planète est tellement accablante que si nous perdons l’espérance, nous perdons tout.

Comment allons-nous concrètement nous donner, et donner au monde, une chance de sortir de la mégacrise actuelle ?

Changer de lunettes et changer d’assiette

Il faut d’abord chausser d’autres lunettes afin de voir le monde autrement. Ces lunettes virtuelles devraient permettre de mieux saisir quelle est la place que l’on occupe dans la société mondiale. L’émergence d’une nouvelle conscience quant à l’interdépendance et la solidarité cosmiques et humaines est grandement favorisée par une image qui a fait le tour du monde, la photo de la planète terre, belle et fragile, flottant dans un espace infini. Les premiers astronautes nous ont rapporté ce cadeau précieux. Il nous permet de voir en toute clarté que nous, les humains, formons tous ensemble l’équipage d’un seul navire. Cette vision favorise la prise de conscience planétaire sur le plan écologique et devrait la stimuler sur celui de la justice sociale et de la paix mondiale.

Il s’agit de prendre courage et de cesser de croire qu’on est impuissant et isolé. Il faut savoir qu’en allant un peu à contre-courant, on n’est pas seul mais que 15 à 25 pourcents des Occidentaux sont habités par des valeurs partiellement différentes de celles qui sont considérées dominantes et « normales ». Il faut aussi se rappeler que le capitalisme néolibéral n’est pas plus éternel que d’autres systèmes qui l’ont précédé ou qui lui succèderont. Sur le mur de béton du matérialisme et de l’injustice planétaire apparaissent mille fêlures. Dans les interstices de ce mur, poussent les plantes et les fleurs qui feront que demain sera possible. Il nous appartient à chacun d’en faire pousser. Il y a un travail de créativité citoyenne à accomplir [1]
Le mahatma Gandhi le disait déjà il y a plus de cinquante ans : il faut être le changement que l’on veut voir dans le monde.

Ayant décidé de voir en face le monde entier, un constat s’impose, difficile mais inéluctable : il faut consommer autrement. Et, bien évidemment, il faut aussi produire autrement ce qui répond, non aux intérêts d’une minorité de profiteurs insatiables, mais aux besoins matériels et spirituels essentiels de l’ensemble de l’humanité. Le mode de consommation à l’occidentale ne peut pas se répandre sur la planète entière. Nous n’avons pas les cinq à sept planètes supplémentaires que requiert ce mode de vie vorace. Si demain les masses innombrables des pays du Sud se mettent à consommer autant que les 20% de privilégiés du monde - et cela est en train de se faire pour des centaines de millions de gens en Chine, en Inde, au Brésil et ailleurs - nous allons droit dans le mur. Il s’agit donc de peser moins lourdement sur notre environnement, de faire preuve de retenue, de mettre un frein à la frénésie hyper-consommatrice actuelle. Aux habitants de notre planète devenue fragile de découvrir les voies actuelles de la frugalité dont les sagesses anciennes sont porteuses. (...)

Une question directe nous est posée : voulons-nous plutôt essayer de participer à la naissance de ce monde nouveau, ou préférons-nous nous ranger dans le camp des "réalistes", quitte à verser dans le fatalisme [2] ?

Vivre autrement et mieux

Ce qui vient d’être explicité sur le plan de la consommation personnelle ou familiale pose d’immenses problèmes. On ne renonce pas si aisément à un bonheur à cause des risques qu’il peut provoquer. Peu de gens abandonnent leur « qualité de vie » spontanément. Alors que faire ? La bonne nouvelle est que ce bonheur est incertain. Le mode de vie à l’occidentale n’est pas le summum. On peut vivre autrement et mieux.

Ivan Illich a bien démontré le caractère finalement contreproductif de notre système. Passé certains seuils critiques, l’avoir devient un obstacle à la réalisation des objectifs qu’il est censé servir.
L’appauvrissement des liens qui doivent unir l’homme à lui-même, aux autres, au monde et au divin se transforme en aliénation et en stress. On peut franchement mieux faire... Il y a trop d’avoir et pas assez d’être. Qu’il suffise de vérifier dans les pays riches le taux de consommation d’anxiolytiques et la croissance du nombre de suicides. Il faut voir en face la boulimie et l’anorexie, la dépression et la toxicomanie. Il faut prendre la mesure du cynisme et la perversité qui s’infiltrent dans nos sociétés. La créativité humaine est capable d’imaginer une frugalité conviviale et agréable. Illich a mis en lumière la relation entre sobriété et convivialité. (...)

Il faut aux nantis de ce monde une vision planétaire des choses qui tienne compte de tous les humains, sans oublier les générations futures. Quelque 2.600 ans plus tôt, le Bouddha enseignait d’aborder la vie et le monde à partir de la notion d’interdépendance générale. Interrogé sur le pourquoi de cette insistance sur d’interrelation de tous et de tout, le Dalaï-lama répond que ce point de vue nous aide à être moins égocentrés et moins obstinés et nous permet de nous rapprocher ainsi de la paix intérieure et de l’idéal de miséricorde.

Revenons à la question « que faire ? ». Il existe de nombreuses associations où s’investir, où réfléchir à des alternatives socioéconomiques, et où contester le désordre établi et comparer concrètement des initiatives constructives. Il y a mille comportements à infléchir, un tas de choses à changer graduellement dans nos vies quotidiennes de citoyens planétaires responsables mais pas pour autant masochistes. (...)

Dans les milieux d’affaires, il est question d’éthique car nombreux deviennent ceux qui découvrent notamment les abus de licenciements intempestifs qui constituent parfois un retour à la loi de la jungle. D’autres constatent effarés l’étendue de la corruption ou du mensonge et les dénoncent, parfois avec succès. D’autres encore se penchent sur le rôle de la spiritualité et de l’éthique en économie et en management. Même ceux qui sont moins directement engagés dans l’action estiment cependant que le ressourcement par le « développement personnel » ou par un enracinement spirituel ne saurait se concevoir sans une ouverture concrète aux problèmes de société et à la responsabilité citoyenne.

D’innombrables organisations contribuent modestement à ce lent processus d’évolution. Ce n’est pas spectaculaire et cela ne fait que rarement la « une » des journaux. La forêt qui pousse fait moins de bruit que l’arbre qui craque, dit-on.Il est bon de se rappeler que les media nous parlent surtout des arbres qui tombent.Les catastrophes sont photogéniques, tandis que les qualités de coeur et les petits gestes quotidiens font plus difficilement l’objet d’un bon scoop. (...)

Le choix qui va déterminer l’avènement du nouveau paradigme est celui-ci : non plus chercher la vie en abondance dans l’accumulation matérielle mais en soi-même, et dans l’Au-delà au fond de soi.

LE MILITANT MEDITANT

La mutation qui est en cours s’accompagne également d’une approche différente de l’engagement social ou politique. Vouloir se changer soi-même via une quête spirituelle ou une démarche de développement personnel n’est pas suffisant, pas plus d’ailleurs que de vouloir changer le monde en s’engageant dans des mouvements sociaux ou des partis politiques. Les deux sont nécessaires mais ils doivent être articulés dans une « diagonale » qui, partant du coeur profond de la personne, traverse et unifie intérieurement toutes les dimensions de l’être (corps, âme et esprit) et de la société. Le réenchantement passe par la transfiguration de soi et du monde. (...)
Les militants de demain ne seront pas seulement ceux qui distribuent des tracts, des leçons et des coups, mais ceux qui vivent autrement. Morale et politique sont indissociables. C’est ce qu’avait exprimé, avec l’impertinence salutaire de l’époque, les compagnes féministes des militants de mai ’68 : « Prolétaires du monde entier, lavez vos chaussettes vous-mêmes ! ».

Réformer l’être intérieur

Il s’agit donc de réformer non seulement les structures sociales et économiques mais encore l’être intérieur. C’est ce qu’Edgar Morin n’hésite pas d’appeler « la réforme de l’être » 7. Edgar MORIN, « La réforme de la pensée suppose une réforme de l’être », Entretiens avec L. BARANSKI, Transversales Sciences/Cultures, décembre 2001. Faute d’un tel travail sur soi, que de débordements psychiques dans les conflits qui traversent les mouvements sociaux, y compris les groupes religieux ! Il faudra bien tenir compte de notre violence, nos peurs, nos égoïsmes, nos soifs de pouvoir et d’argent, toutes ces « passions » qui captent nos énergies vitales, entravent notre liberté profonde et pervertissent nos actions, même les mieux intentionnées.

(...)
Marthe, économiste belge engagée dans des projets d’économie solidaire dans le milieu des sans-emploi, proposa une distinction entre efficacité et fécondité. L’efficacité est souvent liée à l’ego, au volontarisme. « La fécondité me dépasse bien qu’elle passe par moi. C’est du lâcher-prise, de la confiance voire de l’abandon que peut se développer une fécondité nouvelle » précisait-elle. Il s’agit d’entrer dans la disponibilité à ce qui est plus grand que soi. Tous s’accordaient à reconnaître qu’un certain détachement est plus fécond que le volontarisme crispé. Se vouloir efficace à tout prix n’est pas toujours.. . efficace. C’est dans le détachement au coeur même de l’action que la vie peut rester pleinement jaillissante, peut inventer, construire et donner. Alors, elle se traduit en gestes justes et elle jouit envers les autres d’une grande puissance d’entraînement. (...) La distinction entre efficacité et fécondité permit à nos yeux de corriger la notion classique de militance sociale, ainsi que le tableau ci-dessous l’indique. Nous nous rappelâmes que René Macaire, fondateur après mai ’68 des Réseaux Espérance parlait déjà de militants qui avaient à devenir des mutants.

Tout cela est-il bien réaliste ?

Il est interdit d’interdire d’espérer.
Rabbi Nachman de Breslev

(...) La catastrophe est de l’ordre du possible. Mais ce n’est pas nécessairement faire preuve de réalisme que d’entretenir sur l’homme une vision foncièrement pessimiste.

(...)

Les renouvellements endogènes et les métissages interculturels en cours, au Sud comme au Nord, permettent d’entrevoir l’avènement de cultures nouvelles, de mentalités différentes. Evoquer un changement de paradigme, c’est indiquer qu’il y a mutation dans la vision du monde et de notre place en son sein. Quand le paradigme change, les questions et les réponses diffèrent progressivement de celles qui avaient cours précédemment. C’est à cet effort que nous invitent le face-à-face de la modernité et des cultures restées proches de la tradition. Ce face-à-face pourrait ne pas dégénérer en choc des cultures mais se muer en rencontres et en réenchantements.

Pour des sociétés conviviales et diversifiées

(...)

La misère qu’entraîne le système économique actuel est non seulement une menace pour la démocratie. Elle cause toutes sortes de souffrances physiques liées à la malnutrition, aux maladies et à un habitat déficient et elle empêche de nombreux êtres humains de s’épanouir et de développer leurs capacités au-delà de l’instinct de survie. En outre, et cela se dit moins souvent, la misère déshumanise les riches. Leonardo Boff, le théologien de la libération brésilien, note qu’il est humainement dégradant de considérer « les pauvres » comme des êtres inférieurs. Cela entrave la relation et la réciprocité, qui sont les clefs de l’humanisation. Les effets néfastes de la misère ne s’arrêtent pas là. Elle peut aussi inspirer aux riches une culpabilité stérile. Enfin, dit encore Boff, l’accumulation des biens matériels est pour le nanti une source d’attachement et d’illusion quant au désir profond de l’homme. Alors le guette la pauvreté spirituelle. La situation actuelle du monde nous appauvrit donc tous. Mais là où grandit le péril, croît . . aussi ce qui sauve.

Il n’est pas déraisonnable d’espérer. L’homme porte en lui une soif inextinguible qui est plus grande que lui. Mais il lui faudra se souvenir que les problèmes qu’il doit résoudre ne peuvent l’être en restant au même niveau de pensée que celui auquel ils ont été posés.

L’autodestruction sous l’impact du modernisme devenu aveugle peut engendrer un ressaisissement au croisement de la mémoire et du désir.

Thierry Verhelst

"Des racines pour l’avenir"L’Harmattan, 2008, Extraits des p. 421 à 437