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Michel Simonis

“Il faut sortir du sionisme” (Michel Staszewski )
Article mis en ligne le 10 février 2020
dernière modification le 11 février 2020

Antisionisme et antisémitisme. Précieuse clarification.

Extraits d’un Interview de Michel Staszewski [1] par Arnaud Lismond-Mertes, paru dans le n° 101 de Ensemble !, le quadrimestriel du Collectif Solidarité Contre l’Exclusion (décembre 2019), dans le cadre d’un volumineux dossier consacré à la définition de l’antisémitisme prônée par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), [2]


Note personnelle de Michel Simonis :
C’est moi qui ai choisi les extraits et mis certains passages en évidence. En générale ce sont les éléments du textes qui m’ont paru les plus éclairants, qui m’ont le mieux aidé à y voir plus clair moi-même. 

J’ai repris plus d’extraits du texte de Michel sur mon Blog Palestine de larcenciel.
Je vous invite bien entendu à lire l’article entier dans sa version originale sur le blog de Michel Staszewski

 (http://michel-staszewski.blogspot.com/ )

Michel Staszewski est historien de formation, il a enseigné pendant plus de quarante ans dans l’enseignement secondaire en Belgique. Membre de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), ancien administrateur du MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie), il s’intéresse, depuis très longtemps, au conflit israélo-palestinien et au sionisme, ainsi qu’aux questions liées aux différentes formes de racisme, dont l’antisémitisme. Il a publié de nombreux articles sur ces différents sujets [3]. Au-delà de son expertise, M. Staszewski est également une personne engagée sur ces questions pour laquelle « être antisioniste, c’est lutter pour l’égalité des droits en Palestine-Israël  » ou qui estime, plus globalement, que les luttes contre les inégalités et les racismes doivent aller de pair. La manière de lutter contre l’antisémitisme qu’il promeut est dès lors très différente de celle que proposent les adeptes de la définition de l’IHRA.

(...) Je conteste la thèse, à laquelle M. Zomersztajn [4] fait allusion, selon laquelle il existerait un « nouvel antisémitisme  » qui serait né au début des années 2000. Les préjugés hostiles aux Juifs qui circulent aujourd’hui n’ont rien de neuf.

Pour une part, il s’agit de ceux qui proviennent de l’ancienne doctrine anti-judaïque de l’Eglise catholique, qui qualifiait les Juifs de « peuple déicide  » et leur attribuait collectivement la responsabilité de la mort du Christ.

Pour une autre part, il s’agit des préjugés antisémites théorisés dans le dernier quart du XIXe siècle, notamment par l’allemand Wilhem Marr, qui a forgé le terme « antisémitisme  » dans un contexte où la haine des Juifs (appréhendés comme « sémites  ») ne se fondait plus sur une vision religieuse du monde, mais sur des théories pseudo-scientifiques concernant les prétendues « races humaines  », les mêmes qui, à cette époque, légitimaient les entreprises coloniales européennes. C’est de cette période que date la création des stéréotypes des Juifs « formant une sous-race  », et en même temps tous (ou la plupart) riches, fourbes et fomentant des complots secrets pour établir leur « domination mondiale  » à travers le contrôle de l’économie, des gouvernements, des médias, etc. Ce sont toujours ces préjugés-là qui caractérisent l’antisémitisme contemporain.

Ces anciens préjugés antisémites trouvent aujourd’hui une nouvelle vigueur. Elle s’explique en grande partie par la non-résolution de ce qu’il est convenu de nommer le « conflit israélo-palestinien  ». 

En effet, le mépris constant de l’État d’Israël pour les décisions de l’ONU et pour le droit international, ainsi que l’impunité dont il bénéficie, renforcent le fantasme de la « toute puissance des Juifs »… D’autant qu’Israël prétend être « l’État des Juifs  » et qu’en Belgique, comme dans de nombreux pays, il n’est pas rare que des journalistes utilisent eux-mêmes les termes « État juif  » ou « État hébreu  » pour parler d’Israël. 

Si l’on veut nommer les choses correctement et ainsi ne pas donner de l’eau au moulin de l’antisémitisme, je pense qu’il est important de récuser ce type d’appellation qui relève de la vision sioniste. Mieux vaut s’en tenir au nom officiel « d’État d’Israël  » (faute de mieux car celui-ci est aussi excluant puisque ne se référant qu’aux seuls « israélites  », autrement dit aux Juifs ) car, dans cet État (hors territoires occupés), vivent au moins 30 % de non-juifs. Par ailleurs, pour comprendre les enjeux actuels du « conflit  », il faut savoir qu’aujourd’hui, sur le territoire de la Palestine historique, entièrement sous la domination israélienne depuis juin 1967, les Juifs sont désormais démographiquement minoritaires. J’ajoute que l’idée, diffusée par la propagande israélienne et sioniste, selon laquelle l’État d’Israël serait « soutenu par l’ensemble des Juifs  » nourrit l’antisémitisme en diffusant l’idée que les Juifs seraient tous solidaires des politiques illégales et racistes menées par cet État. C’est encore plus dangereux pour les Juifs dans le contexte où la politique israélienne est sans cesse plus intransigeante, extrémiste et criminelle. D’autant que, pour défendre sa politique (ce qui est de plus en plus difficile par des arguments rationnels) devant l’opinion internationale, l’État d’Israël instrumentalise l’accusation d’antisémitisme pour couper court à toute critique, ce qui amène beaucoup de confusion en la matière. 

il faut rappeler ce dont on parle.

Le sionisme est une doctrine politique née à la fin du XIXe siècle et dont le but est la création d’un État juif, sur une terre non-européenne, en tant qu’État-refuge pour les Juifs persécutés dans le monde et considérés comme formant un seul peuple. Ce projet a été défini en 1896 par le Juif austro-hongrois Theodor Herzl dans son livre « L’État des Juifs  ». On était alors en pleine période coloniale. La Palestine, qui, à cette époque, faisait partie de l’empire Ottoman, ne fut pas initialement le seul lieu envisagé pour la création de cet État. Certains ont songé à l’Ouganda, à Madagascar, à l’Argentine, etc. Vers la fin de la Première guerre mondiale, en 1917, l’empire Ottoman s’est écroulé et, au moment où le Royaume-Uni a pris possession de la Palestine, le mouvement sioniste mondial est parvenu à obtenir de Lord Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique, une déclaration indiquant que son gouvernement envisageait favorablement l’établissement d’un « foyer national pour les Juifs  » en Palestine. Ce fut une grande victoire pour le mouvement sioniste, compte-tenu notamment qu’avant l’arrivée des premiers colons juifs sionistes, il y avait moins de 5% de Juifs en Palestine, lesquels parlaient arabe et n’étaient pas sionistes.

 (...)

 C’est une des raisons pour lesquelles, aujourd’hui, davantage de Palestiniens vivent en exil que sur les terres qui constituaient la Palestine au temps du mandat britannique. Cette colonisation, la création de l’État d’Israël et sa reconnaissance internationale, constituent la grande victoire du mouvement sioniste. (...) A cette époque, la plupart des Juifs religieux étaient antisionistes, tout comme les Juifs du Bund (mouvement ouvrier juif présent dans l’Empire russe) ou les Juifs communistes. D’autres s’étaient engagés dans la voie de l’assimilation dans les pays où elle était possible… Aujourd’hui, plus de septante ans après la création de l’État d’Israël, la majeure partie des Juifs a peu ou prou adhéré à l’idéologie sioniste, même en dehors d’Israël. 

Dès lors que cet État d’Israël a été créé, cela a-t-il encore un sens de se dire sioniste ou antisioniste ?

Oui, car la référence à l’idéologie sioniste reste incontournable pour justifier le caractère fondamentalement juif de l’État d’Israël, c’est-à-dire le fait qu’il soit organisé comme un État qui privilégie les Juifs par rapport aux autres habitants, et singulièrement aux Palestiniens, les autochtones. C’est l’idéologie sioniste qui justifie, par exemple, que cet État permette , depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui, à n’importe quel Juif du monde - fut-il belge et très critique comme moi -, de s’y établir et de devenir citoyen israélien (en vertu de la « loi du retour  »), tandis qu’il refuse ce droit aux Palestiniens exilés ou descendants d’exilés. C’est encore cette idéologie qui justifie la politique d’apartheid actuelle menée par Israël. Cette politique est évidente dans les territoires occupés, où les habitants palestiniens sont soumis à des lois et règlements militaires, tandis que les Juifs qui habitent dans les colonies sont soumis aux lois (civiles) israéliennes. Cette même politique d’apartheid détermine également, dans une moindre mesure, l’organisation politique sur le territoire même d’Israël, où les citoyens israéliens qui ne disposent pas de la nationalité dite « juive  » (mais qui sont dits de nationalité « arabe  », « druze  »…) sont tenus à l’écart et/ou discriminés de fait et de droit dans des dimensions essentielles de leurs existences  : l’accès à la propriété de terres, les permis de construire, le droit d’habiter où ils le souhaitent, l’accès aux services publics, à l’enseignement, à des fonctions dirigeantes de l’État et dans les domaines économique, académique, culturel, etc. 

Aujourd’hui, être antisioniste c’est donc lutter pour l’égalité des droits en Palestine-Israël. A mes yeux, c’est un devoir pour les démocrates. Mais un tel point de vue est insupportable pour les sionistes. 
Qu’ils soient « de gauche » (prêts à des compromis territoriaux avec les Palestiniens) ou « de droite » (refusant tout compromis), les sionistes ont en commun une vision du monde très pessimiste. Ils considèrent que l’antisémitisme ne peut être éradiqué. Il en découle que pour s’en prémunir, une seule solution est possible : les Juifs doivent « se mettre à l’abri » en vivant séparés des non-Juifs, dans un État-forteresse ; ou, au moins, pour ceux d’entre eux qui continuent à vivre en-dehors de l’« État juif », un tel État doit exister pour qu’ils puissent y trouver refuge, au cas où… Ils estiment dès lors qu’ils doivent absolument garantir le maintien d’une majorité juive en Israël, par tous les moyens et quel qu’en soit le prix pour la population non-juive. . Il s’agit selon eux d’une question de vie ou de mort.

Presque tous les Palestiniens sont antisionistes, puisqu’ils n’acceptent pas que le pays où ils vivent ou dont ils sont exilés soit devenu l’« État des Juifs », au prix de leur déplacement forcé ou de très fortes discriminations pour ceux qui y sont restés. Cela n’en fait pas des ennemis des Juifs. Parmi les antisionistes, se trouvent également de nombreux Juifs, partisans, comme moi, de la « désionisation » d’Israël, c’est-à-dire de sa transformation en un ou deux États démocratiques, traitant de manière égale tous ses habitants. 

Ceci dit, comme dans l’ensemble de la population, il y a des antisémites parmi ceux qui se proclament antisionistes. L’« antisionisme  » d’Alain Soral, Dieudonné et leurs amis sert de masque à leur antisémitisme virulent. Mais c’est loin d’être le cas de la majorité des personnes qui se disent antisionistes. Assimiler de façon générale l’antisionisme et l’antisémitisme, c’est non seulement une imposture intellectuelle, mais cela favorise aussi le développement de l’antisémitisme. J’estime au contraire, qu’il est absolument indispensable, pour lutter contre l’antisémitisme, de distinguer le judaïsme du sionisme, ainsi que l’antisémitisme de l’antisionisme.

Tout comme l’UPJB dont vous êtes membre, vous soutenez le mouvement Boycott Désinvestissements Sanctions (BDS).

Le constat qui inspire et justifie le mouvement BDS est que l’ONU et les grandes puissances ne font rien d’efficace pour imposer à Israël le respect du droit international et des droits fondamentaux des Palestiniens. Les organisations qui ont lancé l’appel au BDS en prennent acte, et demandent dès lors aux citoyens démocrates du monde de faire eux-mêmes, pacifiquement, pression sur l’État d’Israël. Celui-ci développe des efforts considérables pour criminaliser le mouvement BDS, l’assimiler d’une façon absurde à de l’antisémitisme, et le faire interdire. C’est un signe qu’il s’agit là d’un moyen de pression relativement efficace. L’UPJB soutient ce mouvement. Tout comme le font, en Europe et dans le monde, beaucoup d’autres organisations juives engagées pour une paix juste au Proche-Orient.

(...)

Pour lutter contre l’antisémitisme aujourd’hui, quel type d’approche préconisez-vous  ? 

L’antisémitisme existe bien en Belgique. Il a connu ces dernières années un regain d’intensité parfois meurtrière. Il y a néanmoins une grande différence, en Belgique, entre l’antisémitisme et l’islamophobie ou la négrophobie  : les Juifs sont beaucoup moins victimes de discriminations, sans doute en partie parce que leur judéité est généralement moins apparente. Les préjugés haineux concernant les Juifs existent cependant toujours, et ne doivent pas être minimisés. Mais comment lutter sérieusement contre ceux-ci  ? Certainement pas en entretenant la confusion entre « les Juifs  » et « État d’Israël  », ou entre « antisémitisme  » et « antisionisme  ». Il faut au contraire veiller à bien distinguer ces choses, ce que ne font ni le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), ni la mal nommée « Ligue belge contre l’antisémitisme  ». 

Une action juridique répressive peut être pertinente face à des passages à l’acte violents ou des comportements discriminatoires. Je pense toutefois que la lutte contre l’antisémitisme ne peut se passer d’un travail pédagogique de clarification et de déconstruction des préjugés. C’est à cela que contribue l’UPJB, l’association juive dont je suis un membre actif, la seule en Belgique francophone à se dire « non sioniste  » (tout en ne se revendiquant pas collectivement « antisioniste  », car différentes sensibilités existent sur ce point à l’intérieur de l’association). C’est d’ailleurs pour cela que nous ne sommes pas membre du CCOJB, lequel a statutairement pour objet social, notamment, le « soutien par tous les moyens appropriés à l’État d’Israël, centre spirituel du judaïsme et havre pour les communautés juives menacées  ». 

Une dernière considération sur le combat antiraciste de manière générale. Le monde socialement fracturé d’aujourd’hui favorise la peur de l’Autre et/ou le ressentiment, donc les comportements racistes.(...)

Je suis convaincu que pour combattre efficacement le racisme, il est indispensable de lutter contre les inégalités sociales. C’est dire que je ne crois pas à l’efficacité d’un antiracisme de droite. Mais le combat contre les préjugés et les discriminations ne peut être négligé au nom d’une priorité de la lutte contre les inégalités sociales.