• Les animaux souffrent-ils plus lors d’un abattage sans étourdissement ?
• Les abattoirs au cœur du débat politique
• Le vote sur l’interdiction d’abattage sans étourdissement au Parlement wallon est reporté au 5 mai (2017). L’Exécutif des musulmans confirme son opposition au projet de décret. Qu’est-ce que le halal ? Le point sur ce marché avec une spécialiste.
Dossier réalisé par Camille de Marcilly. Publié dans La Libre le vendredi 21 avril 2017.
Peu d’études ont été réalisées sur le marché halal en particulier " par crainte d’alimenter les campagnes anti-musulmans, de faire comme on dit le jeu des extrêmes ."
Le contexte et le climat socio-politique en Belgique expliquent cela. [1]
Rencontre, à Bruxelles.
Qu’est ce que le halal ?
C’est un terme arabo-musulman qui veut dire licite ou permis, il s’applique à des choses mais aussi des actions. L’avènement du marché halal a modifié l’usage de ce terme. Au lieu de permis, on lui attribue le sens de "prescrit" pour être un "bon" musulman.
Vous dites que le marché halal a été inventé il y a quarante ans. Pourquoi ?
Oui, il y a eu plusieurs étapes. La première, c’est la codification de l’abattage rituel qui va donner lieu au marché de la viande halal. Ensuite, c’est l’introduction d’un principe de pureté avec la publication des directives halal du Codex alimentarius en 1997 qui va déclarer illicites tous les produits contaminés par trois substances : le cochon, les viandes non rituelles et l’alcool. A doses microscopiques, ces substances se retrouvent dans toute l’industrie agro-alimentaire. Or, plus on interdit, plus on ouvre une gamme de permis, c’est ainsi que le marché halal s’est étendu aux aliments non carnés, aux cosmétiques, aux produits ménagers, et même à l’eau…
Est-ce une invention marketing ?
Le halal est vanté par les marchands comme une tradition religieuse que "les musulmans" animés par des besoins "spécifiques" seraient "obligés" de respecter. En réalité, l’espace alimentaire musulman varie selon les cultures et les époques. Cela peut aller très loin : l’islamologue Maxime Rodinson rapporte que certains musulmans vivant en Chine où le porc est une viande très appréciée, en consommaient en ayant pris la précaution de l’appeler "mouton". Il n’y a pas une façon islamique d’abattre les animaux mais plusieurs qui ont été discutées pendant des siècles par les juristes. Au fil du temps, les rites ont été adaptés aux environnements écologiques ou culturels, d’autant plus que le Coran est peu précis en matière de nourriture. Cette souplesse recule aujourd’hui face à la normalisation alimentaire industrielle.
A quel moment la production s’est-elle industrialisée ?
Quand les pays musulmans deviennent importateurs de viande de pays non musulmans. Durant les années 1960, la base des transactions, c’est la confiance. Les musulmans s’assurent que les industriels saignent les animaux, ce qui est le cas dans les industries d’abattage pour des raisons vétérinaires et d’hygiène. En 1979, l’ayatollah Khomeini interdit l’importation de viandes de pays "occidentaux", une mesure symbolique destinée à ériger une frontière entre le monde musulman et le monde des infidèles. Mais, pragmatique, il va autoriser les importations de viandes contrôlées sur les chaînes d’abattage par des haut gradés religieux qu’il envoie sur place. Ces derniers vont d’une certaine manière "islamiser" les chaînes industrielles et prendre le contrôle d’un mode d’abattage dit islamique ou "halal". Dans les années 1980, les industriels exportateurs vont accepter ce contrôle par crainte de perdre leurs clients, mais aussi parce qu’ils vont chercher à en faire un argument de qualité.
Aujourd’hui, assiste-t-on à un phénomène de normalisation plus rigoureux ?
Le fait de dire que la viande des Occidentaux n’est pas licite, c’est un pas de côté par rapport à la sourate 5 verset 5 du Coran qui dit : " la nourriture des gens du Livre est licite pour les musulmans ". L’intention de Khomeini était politique : consacrer le territoire de l’islam, réaffirmer la frontière entre civilisations islamique et occidentale. La séparation des nourritures, des tables, et des filières productives est un moyen très efficace d’ériger des frontières durables.
Le halal accentue le communautarisme ?
Cela contribue à séparer des populations, d’autant plus que le périmètre du halal ne cesse de s’agrandir. Avant les années 90, la nourriture halal excluait le porc, puis la viande non rituelle, puis aujourd’hui les bonbons dans les cours d’école, les petits pots de bébé. Le fondamentalisme prospère sur les stratégies de segmentation marchandes. Les agences de contrôle et de certification halal sont la clé de voûte du marché halal : ce sont des spécialistes auto-proclamés du licite et de l’illicite qui n’ont aucun compte à rendre à la tradition ou aux autorités religieuses. N’importe qui peut se prétendre contrôleur halal et mobiliser du discours religieux dans l’espace public, par le biais du "marketing islamique". Cela fonctionne assez bien car l’islam vit une crise d’autorité majeure depuis le XIX° : colonisation, décolonisation , immigration ont contribué à déréguler les institutions religieuses. Ces contrôleurs halal étendent leur influence en culpabilisant les populations, en les inquiétant.
Cette inquiétude est-elle transformée en argument commercial ?
Ce marché n’a pas qu’une raison économique. Ces agences de contrôles véhiculent une certaine conception du religieux adaptée au marché mondialisé qui fonctionne sur la normalisation des aliments destinés à circuler partout. Seuls les fondamentalistes sont capables de produire du licite et d’illicite à la demande, souvent avec un discours littéraliste, légaliste et exclusif.
En Belgique, l’Exécutif des musulmans s’oppose à l’étourdissement alors que des pays musulmans comme la Malaisie ou les Emirats l’acceptent. Une explication ?
Les musulmans en diasporas sont quotidiennement au contact de la frontière de l’illicite. Il faut à tout prix éviter la confusion. Or un abattage halal avec étourdissement est trop similaire techniquement à un abattage conventionnel. Au départ, les contrôleurs halal exigeaient seulement que l’animal soit vivant, les vétérinaires ont proposé des techniques d’étourdissement réversibles (head only stunning) où l’animal reprenait vie s’il n’était pas saigné. Puis les contrôleurs ont exigé que l’animal soit conscient, les vétérinaires ont alors proposé des méthodes d’étourdissement réalisé juste après la saignée (post-cut stunning). Enfin, ils ont demandé que la carcasse soit indemne. Cela rend illicites toutes les techniques d’étourdissement possibles, sauf celles qui augmentent la souffrance animale. Un pas en avant des industriels, et les contrôleurs religieux reculent d’autant.
Faut-il interdire l’abattage sans étourdissement ?
Un Etat a le droit de s’intéresser au traitement des animaux sans qu’on lui oppose que des partis nazis ont détourné la cause animale à leur profit et interdit l’abattage rituel pour s’en prendre aux juifs. Les motivations sont différentes. Aujourd’hui, les vétérinaires sont majoritairement d’avis qu’un abattage rituel sans étourdissement présente plus de risque de douleur pour un animal qu’un abattage avec étourdissement. Si on prend la science au sérieux et que l’on souhaite améliorer le sort des animaux alors on doit en tirer les conséquences. Si on pense, comme le disent certains religieux - pour empêcher tout débat sur la dérogation - que la science n’est qu’une croyance comme une autre alors… pourquoi ne pas enseigner le créationnisme à l’école ? L’Etat ne peut que s’appuyer sur des expertises scientifiques nombreuses qui concluent très majoritairement en faveur de techniques d’étourdissement.
Dossier réalisé par Camille de Marcilly