La volonté de protéger la biodiversité menace cette ethnie nomade.
Par Fanny PIGEAUD
QUOTIDIEN : lundi 12 mars 2007
Yaoundé (Cameroun) correspondance
(Extrait)
Intro
Les effets pervers de bonnes intentions écologiques.
la marginalisation dont sont victimes les 30 000 membres *(* le chiffre exact n’est pas connu, faute de recensement) des communautés pygmées présentes dans le sud et l’est du Cameroun s’aggrave, dénonce l’anthropologue camerounais, Séverin Cécile Abega : Insultes, brimades quotidiennes, accès difficile, voire impossible, aux services de l’administration et de la justice.
« On nous prend pour des sous-hommes, on nous dit qu’un pygmée n’a pas de bouche, c’est-à-dire que sa parole ne compte pas », commentent, amers, les habitants du village de Ngoyang, dans le sud du pays.
A l’origine de cette dégradation rapide du statut des pygmées, il y a les politiques dites de « développement » mises en oeuvre depuis 1960 par l’Etat ou par la plupart des ONG, estime Séverin Cécile Abega. « Elles sont fondées sur trois choses : la sédentarisation, l’agriculture, l’école. Or, devenir agriculteurs, ça veut dire manger des animaux domestiques, couper les arbres, ce qui est contraire à ce qu’ils croient, à ce qui les anime », explique-t-il.
Inciter les pygmées à devenir agriculteurs les place aussi en situation de concurrence, notamment pour l’accès à la terre, avec les populations bantoues qui habitent en lisière des forêts, et avec qui ils échangeaient auparavant les fruits de leur chasse contre des produits vivriers. Résultat : des conflits parfois violents. « Les Bantous barrent nos pistes qui vont en brousse, ils sabotent nos pièges », assurent les habitants de Ngoyang, quelques jours après une rixe avec leurs voisins. Ces derniers sont jaloux des attentions dont les pygmées sont l’objet de la part de quelques ONG, ajoutent-ils. Quant au système scolaire qui leur est proposé, il est incompatible avec la nécessité de passer plusieurs semaines voire plusieurs mois de chasse en forêt.
Représailles
Qu’ils vivent dans la région forestière du sud ou dans celle de l’est, les pygmées sont aussi menacés par l’exploitation industrielle du bois qui détruit l’environnement sur lequel s’est bâti leur système social et culturel. Ils perdent peu à peu leurs repères, certains sombrent dans l’alcool, la drogue ou la prostitution.
La protection de certaines zones, afin d’en préserver la biodiversité, leur a, paradoxalement, ajouté un problème : cette mesure leur retire bien souvent le droit d’utiliser les ressources et l’espace de ces zones. « Au lieu de les brimer et de les priver de leurs droits fondamentaux, on ferait mieux de les associer à la gestion de ces aires protégées : leur connaissance exceptionnelle de la forêt est la clé pour réussir à conserver la biodiversité des forêts d’Afrique centrale », estimait, en 2002, l’anthropologue britannique Jerome Lewis.
A l’est du pays, c’est la pratique de la chasse dite « sportive » qui prive aussi les pygmées de l’accès à certaines zones forestières. S’ils osent s’y aventurer, les représailles des guides de chasse sont particulièrement violentes, rapportent des ONG.
« On veut que les pygmées abandonnent des valeurs auxquelles ils tiennent. Mais ils n’ont pas envie de nous ressembler. Accumuler, avoir de grandes maisons, de beaux habits, ne les intéresse pas. Le mépris qu’éprouvent les agriculteurs à leur égard est réciproque », souligne Séverin Cécile Abega.
Mépris
Quant à André-Michel Essoungou, l’un des rares journalistes camerounais à s’être intéressé à la question ces dernières années, il constate amèrement : « Nous nous comportons comme le Canada ou les Etats-Unis avec les Amérindiens, ou comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande avec les Maoris et les aborigènes. Les Amérindiens ont été décimés, les aborigènes sont poussés dans des réserves, les pygmées voient leur milieu de vie disparaître. A chaque fois, ces peuples singuliers sont soupçonnés de choses étranges et traités avec mépris. Pourtant, dans le même temps, tout le monde convient que la richesse de leurs savoirs est irremplaçable. »
Référence
"le quotidien", journal d’information, Sénégal.