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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Une tout autre école dans un tout nouveau monde
Article mis en ligne le 2 juillet 2015
dernière modification le 18 août 2024

Une tout autre école dans un tout nouveau monde : analyser avec lucidité pour changer avec détermination.

L’avenir de l’école ?

Une sorte de charte pour l’avenir de notre école, passionnante, à lire avec attention...

Article de Françoise Guillaume, Fondation O.Decroly
Centre d’Etudes decrolyennes [1]

Il y a un siècle, l’école émancipatrice permettait aux jeunes issus des classes populaires d’accéder à des métiers jusqu’alors réservées aux « fils de », elle était l’ascenseur social, modèle apparemment unique pour la société pétrie d’idées de sciences et de progrès.
Aujourd’hui, non seulement « l’ascenseur social est en panne », mais la société s’est complexifiée à un point tel que cette expression semble trop réductrice pour traduire le malaise de l’école, la volonté de certains de la mettre hors jeu. De quoi y a-t-il donc à s’émanciper ? Il nous semble que la réponse tient en trois points (au moins) :

En premier lieu, la notion de classe et son corollaire incontournable, la lutte des classes, se sont dissous dans une mondialisation où l’ultra libéralisme triomphe sans partage et sans limite apparente (la proportion de richesses détenue par le percentile le plus riche de la planète ne cesse d’augmenter d’année en année). Certes, des archipels de résistances existent toujours, sous de multiples formes, mais les échecs flagrants des grands mouvements du XXème siècle ont sapé les bases de toute organisation d’envergure qui puisse s’opposer structurellement à cet état de fait, laissant le champ libre à un marketing sans limite et, par conséquent à un consumérisme effréné, titillant sans cesse les multiples tentations de laisser libre cours aux pulsions, bases de tout psychisme humain. Dans ses objectifs, l’école entre sans cesse en collision frontale avec cette société pulsionnelle, elle qui essaie d’introduire à la pensée et à la raison. Le combat est rude et constant ; le dire n’aide en rien l’école, mais la conscience de cette responsabilité d’émancipation par la pensée, aide à trouver un sens au métier d’enseignant/éducateur, au-delà de l’usure du quotidien.

En deuxième lieu, la modernité en marche a changé radicalement le regard sur l’enfance dans les dernières décennies : de « petit d’homme/de femme », il est devenu « petit homme/femme » à part entière1. Certes il fallait considérer l’enfant autrement que comme une pâte à modeler mais, dans la foulée, la cohérence sociale s’est délitée quand il s’agit de tomber d’accord sur la place d’éducateur, d’adulte qui introduit l’enfant/adolescent au monde. Les dérives de cette apologie de l’autonomie (car c’est finalement seul le concept qui fait autorité aujourd’hui et encore, sur des significations hétéroclites) n’en finissent pas de prendre les formes les plus diverses. Même si beaucoup se rendent compte qu’il faut « reconstruire du sens » pour éduquer les enfants, chacun y va de sa solution, de son conseil, ... De manière générale, la difficulté à assumer une relation adultes/enfants sur le mode de l’égalité en valeurs mais de l’asymétrie de place (et parfois même à nommer cette difficulté), fragilise toute institution éducative puisque là, il s’agit bien de faire communauté et socialisation à partir d’individus ayant des points de vue et des pratiques parfois complètement divergents. L’école est évidemment au premier plan de cette question, tant en son sein, que dans les relations qu’elle établit nécessairement, avec les parents en particulier. Sa fonction émancipatrice ressemble là à une refondation d’éléments collectifs des bases de ce qu’est l’éducation.

Enfin, en troisième lieu, il y a le monde numérique qui dévale sur la société tel un tsunami, bouleversant tout : les formes de sociabilité, l’ancrage dans la réalité dans un monde où le virtuel envahit tout, les accès au savoir, jusque dans leur structure (la progression en réseau remplaçant le chemin linéaire), les compétences professionnelles (des enseignants mais aussi des journalistes, des libraires, ... par exemple), etc, etc ... La liste s’allonge chaque jour sous l’apparition de nouveaux objets ou modes de diffusion/production. Dans ce domaine, il est clair que l’école n’en est qu’au stade de l’expérimentation, souvent désordonnée, sans objectif global clair.

Aujourd’hui, la question de savoir comment introduire au monde du numérique reste trop souvent sur le versant de la technique et ne prend pas suffisamment de hauteur pour construire une politique cohérente tout au long de la scolarité.

Nous suivrons Bernard Stiegler, philosophe, qui développe de manière approfondie et diversifiée, le fait que le numérique est une révolution comparable à l’invention de l’imprimerie, à ceci près qu’elle sera infiniment plus rapide et plus diversifiée. Et que le livre, comme le Web, sont des pharmaka, c’est-à-dire des poisons et des remèdes. C’est comme tels qu’il est urgent de les penser globalement et collectivement. Là aussi la fonction émancipatrice de l’école est essentielle car le danger est imminent de voir s’installer une fracture numérique, moins en ce qui concerne les possibilités d’accès qu’en ce qui concerne l’usage (connaissances vs loisirs, usage régulé par les parents vs usage débridé, parfois dévastateur, pour le jeune, ... ).

Face à cette démultiplication des défis, l’école se retrouve seule, souvent guidée (certes avec une bonne volonté indéniable) par une politique qui, consciente des enjeux, essaie de mettre en place, sous forme de réglementations à tous niveaux, des solutions qui restent parcellaires et atomisées, qui imposent des cadres de plus en plus serrés, à défaut de réflexion approfondie et de consensus social.
Ce constat lourd mais stimulant (on ne peut se permettre de laisser les choses en l’état) amène à plusieurs propositions pour une tout autre école. Un peu en vrac ...

La tout autre école est l’affaire de tous : les politiques urbanistiques, les réseaux de transport en commun, ... qui prennent leur responsabilité comme facteurs premiers de la mixité sociale ; les entreprises qui acceptent de prendre en charge peu ou prou la formation des jeunes, sans objectif de rentabilité ; les associations qui mettent leur savoir-faire dans des domaines spécifiques (contacts avec les parents, art, cirque, théâtre, par exemple) au service de l’école, etc...

Mais la pédagogie est le champ professionnel des enseignants qui doivent accepter, tous, que pédagogie et éducation sont indissociables, sans pour autant disqualifier la dimension familiale. Pour aller jusqu’au bout de ce raisonnement, la tout autre école s’ouvre aux parents, va chercher parfois les parents pour aménager des espaces-temps pour recréer des consensus éducationnels, sans doute partiels et locaux, mais là sera aussi leur efficience.

La tout autre école accueille des enfants/adolescents dont la variété d’âge est la plus grande possible et se considère comme un ensemble continu. Dans les villes, des entités de quelques centaines d’élèves de 3 à 18 ans permettent aux enfants et aux adolescents de se connaître, de mener aussi des activités ensemble car l’enfant/adolescent-élève y est regardé dans sa globalité et pas seulement comme un apprenant. Les enseignants de la tout autre école peuvent évaluer les progrès d’un élève, éclairé du point de vue de leurs collègues s’étant occupé de l’enfant plus jeune. D’ailleurs, la mobilité des enseignants entre les différents âges d’enseignement est maximale dans la tout autre école : l’enseignant qui connaît le fonctionnement des jeunes enfants enseigne mieux aux grands et vice-versa. Quand l’école de 3 à 18 ans n’est pas possible (en zone rurale par exemple), une priorité maximale est donnée à la continuité pédagogique/éducationnelle : les partenariats structurels sont exigeants, en terme de relation et de contenus, entre la tout autre école primaire (jusqu’à 14 ans) et la tout autre école secondaire. De manière plus générale, le travail en équipe des enseignants est valorisé, considéré comme partie intégrante de la fonction. L’organisation et l’animation de ce travail d’équipe sont considérées comme une responsabilité prioritaire de la direction de l’école. La pratique du compagnonnage est reconnue officiellement et permet aux jeunes enseignants de s’intégrer progressivement dans la tout autre école.

Le groupe-classe est l’entité de base de la tout autre école dans laquelle l’enfant s’initie à la sociabilité, dans un souci constant de bienveillance, tant dans les relations entre enfants, que dans les relations avec les adultes qui établissent un cadre consistant et souple, toujours travaillé en équipe. Le Conseil de la Classe hebdomadaire et le Conseil de l’Ecole, régulier, initient ainsi les enfants/adolescents à la délégation, à la prise de parole, à l’argumentation, au respect de la parole des autres, toutes compétences indispensables à la vie démocratique. La tout autre école se sent responsable d’initier tous les élèves à la démocratie, aux pratiques, savoir-faire et savoirs qui y sont nécessaires.

Dans la tout autre école, les enfants qui rencontrent des difficultés scolaires ou personnelles font l’objet d’une attention particulière de leur(s) professeur(s) avant d’être pris en charge, si nécessaire, par des enseignants prévus à cet effet, dans des espaces-temps aménagés pour répondre à ces besoins spécifiques. Les structures externes à la tout autre école, comme le CPMS et le service PSE, voient leurs effectifs notablement renforcés pour pouvoir guider les enfants/adolescents en difficultés sans recourir trop systématiquement aux spécialistes de tel ou tel trouble pour trouver la solution « clé sur porte ».

Dans la répartition du temps de la tout autre école, on tient enfin compte des recherches convergentes sur les rythmes scolaires. On réorganise fondamentalement le travail à partir des diverses formes d’intelligence de l’enfant : l’exercice de la créativité du début à la fin de la scolarité, une approche diversifiée et sérieuse des technologies/artisanats (savoir monter un interrupteur, construire une boîte en bois, coudre un ourlet, entretenir un jardin, cuisiner une soupe, ... ), une connaissance de son corps par des activités sportives mais aussi d’expression, toutes ces activités trouvent une vraie place dans les priorités et les contenus scolaires de la tout autre école. Elles évitent de hiérarchiser les aptitudes de chacun selon une échelle (qui n’est d’ailleurs principalement valable qu’à l’école).

En ce qui concerne les apprentissages au sens classique du terme, les méthodes actives sont toujours privilégiées dans la tout autre école : on apprend en agissant, l’enseignant étant le garant du chemin parcouru, on apprend en expérimentant à partir de ce qu’on peut observer dans le milieu proche : le jardin (éventuellement tout petit, installé dans la cour dans une jardinière), la pratique du métier d’un voisin ou d’un parent, l’expérience menée en classe avec des moyens simples, construits soi-même, sont la base de l’apprentissage dans la tout autre école, ... Toutes ces activités amènent « naturellement » à une approche interdisciplinaire des savoirs/compétences. De plus, l’enseignant sait qu’en pratiquant ce type de pédagogie, il ne néglige pas le français, le calcul, parce qu’il connaît les techniques à apprendre et les introduit au moment opportun.

Pour que cette approche soit possible, la tout autre école est pilotée par un système qui donne un cadre général mais qui ne revoit pas sans cesse les règlementations de plus en plus formelles, un cadre qui laisse une large place à l’initiative pédagogique parce que le terrain n’est pas le même partout, parce que l’actualité n’est pas contrôlable mais qu’elle est toujours intéressante à comprendre, le plus finement possible, en fonction de l’âge. Les épreuves d’évaluation non certificatives aident les équipes enseignantes de la tout autre école à prendre la mesure de la qualité de leur travail, en fonction de ce qu’ils savent de leur école.

Enfin, la tout autre école, dans son ensemble, des plus hauts responsables aux plus jeunes enseignants, mettent en chantier une pensée globale sur le monde numérique et les TICs en particulier, sans les réduire à des questions techniques du genre : tablette pour tous ? connexion wifi dans toute l’école ? logiciels de remédiation ? Mais ils mènent ensemble une réflexion longue et approfondie, impliquant nécessairement une vision globale de l’école à l’ère du numérique et plus encore, une réflexion axée sur les besoins des enfants, en fonction de leur âge et du monde dans lequel ils sont aujourd’hui et vers lequel ils évoluent.

Ce dernier point n’est pas sans ramener au début de ce texte : la tout autre école donne les armes aux élèves pour ne pas se laisser enfermer dans les filets serrés du consumérisme, pour avoir les éléments de base afin de rester citoyen vigilant et acteur engagé dans un monde qui en aura de plus en plus besoin. Là est sans doute sa fonction émancipatrice la plus urgente et le plus exigeante !

Françoise Guillaume Fondation O.Decroly
Centre d’Etudes decrolyennes

P.S. Vous l’aurez remarqué : la tout autre école est encore un bâtiment avec des classes, des tables, des chaises et beaucoup d’autres choses. Mais surtout avec des hommes et des femmes, enseignants, éducateurs ou autres professionnels de l’enfance/adolescence, car il n’y a que l’humain pour introduire au monde des humain.