Deux articles de La Libre, à l’occasion de la sortie du film "Le chant de la fleur".
Survie
Quand deux hommes débarquent au beau milieu de l’Amazonie équatorienne les poches pleines de billets et des promesses mirobolantes à la fin des années 80, les habitants de Sarayaku résistent à la tentation. Ils savent que leurs généreux visiteurs viennent acheter leurs terres pour y extraire de l’or noir, et que d’autres communautés avant eux ont chèrement payé la présence de compagnies pétrolières. Les Tetetes, par exemple, établis plus au Nord, auraient purement et simplement disparus au contact de ces envahisseurs modernes venus exploiter leurs terres en toute impunité avec la bénédiction des autorités.
De 1964 à 1992, Texaco aurait ainsi foré près de 340 puits sans jamais consulter les populations locales, avant de plier bagages et laisser derrière elle des dizaines de millions de litres de pétrole et autant de milliards de litres d’eau polluée. Un massacre pour les populations indigènes qui puisent toutes leurs ressources dans la forêt. "Notre terre, c’est notre vie" , témoigne José Gualinga, leader des Kichwa de Sarayaku à qui il a consacré un documentaire présenté en Belgique. "C’est là qu’on chasse, qu’on pêche et qu’on cultive, mais c’est aussi notre philosophie, un lieu d’harmonie où les protecteurs de la forêt maintiennent l’écosystème mondial." Relativement épargnés par les exploitations, les 1 200 Kichwa de Sarayaku se refusent à l’idée de céder leur terre. Mais pour pouvoir lutter efficacement contre des groupes pétroliers de plus en plus insistants, ils ont besoin de l’appui du gouvernement équatorien qui ne leur reconnaît à l’époque aucun droit territorial.
Une marche de 400 km
En 1992, la communauté décide donc de passer à l’action et lance une marche de 400 km de Sarayaku à Quito, la capitale, pour exiger du président équatorien un titre collectif de propriété. "Le gouvernement a dû se rendre compte qu’il existait des millions d’indigènes dans le pays , plaisante à moitié José Gualinga. Près de 40 % des quinze millions d’Equatoriens." D’autres communautés amazoniennes ou andines se joignent aux Kichwa de Sarayaku en chemin ou leur apportent leur soutien et le mouvement finit par conduire le chef de l’Etat alors en pleine campagne électorale à accorder les titres demandés. "M alheureusement, le gouvernement n’a pas respecté les limites des territoires ancestraux , regrette le leader kichwa. Cela provoque encore des conflits aujourd’hui mais c’était un très grand pas. Une initiative tellement neuve qu’on ne savait d’ailleurs pas vraiment comment gérer la situation. Nous étions au courant de ce qui s’était déjà passé dans le Nord, nous n’avions pas encore les armes nécessaires pour faire face à des entreprises habituées à rentrer librement dans le pays pour en exploiter les ressources."
Détail essentiel : le gouvernement a reconnu aux indigènes un droit de propriété sur le sol mais pas sur le sous-sol, et autorise quelques années plus tard une nouvelle compagnie pétrolière à venir frapper à Sarayaku avec une stratégie plus agressive. "Après avoir tenté de nous amadouer avec des cadeaux en tous genres, la Compagnie générale des combustibles (CGC, Argentine, NdlR) a décidé de diviser la communauté , précise José Gualinga. Certains ont reçu de l’argent, d’autres des offres d’emploi, et ça a fini par fonctionner. Elle est entrée sur le territoire en 2002."
1 400 kg d’explosif
Une nouvelle fois, la population kichwa parvient à repousser l’intrus sans violence mais se retrouve avec les 1 400 kg d’explosifs préalablement répartis dans la forêt par la CGC pour faciliter l’exploration. Démunie, la communauté abat sa dernière carte et saisit la Cour interaméricaine des Droits de l’homme pour contraindre les autorités de Quito à respecter leurs engagements.
Neuf ans plus tard, la sentence tombe : le droit des Kichwa de Sarayaku à la propriété collective, la vie et la protection juridique est confirmé. L’Etat équatorien est accusé d’avoir violé sa propre législation, et la Cour enjoint au gouvernement de Quito de consulter "préalablement et efficacement le peuple de Sarayaku pour chaque projet d’exploration, d’extraction de ressources ou de tout plan d’investissement impliquant des dommages à leur territoire" . Elle y ajoute trois exigences : la non-répétition des faits, la restitution du territoire, et une indemnisation. La victoire est totale. "Nous avons des droits que nous allons faire respecter , conclut José Gualinga , mais le gouvernement équatorien ne respecte toujours pas sa constitution. Il vient de lancer un nouvel appel d’offres à destination des compagnies pétrolières, et d’attribuer des concessions sur 3,6 millions d’hectares dans une autre partie de la forêt amazonienne."
Valentin Dauchot, Publié dans LLB le vendredi 04 octobre 2013
http://www.lalibre.be/archive/le-peuple-de-sarayaku-victime-de-son-petrole-524e386e35703eef3a0e1a2b
VOIR l’article "Une Belge dans la jungle équatorienne"