Rencontre.
• On vous connaît pour vos documentaires d’investigation et de “combat”. Ici, vous avez choisi de développer une approche plus positive. Quel a été le déclencheur ?
A quinze jours d’intervalle, j’ai rencontré sur un plateau de TV un représentant de l’industrie alimentaire et le ministre de l’Agriculture français qui disaient qu’on ne peut pas nourrir le monde sans pesticides. Puis j’entends Olivier De Schutter, le rapporteur spécial de Nations unies sur le droit à l’alimentation, qui dit tout le contraire et qu’il faut changer de cap. Cela a déclenché chez moi l’envie de savoir et de voir concrètement comment marchait ce modèle de l’agroécologie. J’ai été sidérée de découvrir qu’outre les avantages environnementaux (gaz à effet de serre, pollution des eaux ), même pour les rendements, l’agroécologie n’est pas forcément moins productive.
• Comment définiriez-vous cette pratique ?
A la base, cela relève de l’agriculture bio dans ce sens où l’on s’affranchit d’un certain nombre de produits toxiques. C’est un modèle agricole qui repose sur des unités de production à hauteur d’homme, soit le mouvement inverse à celui entamé depuis ces décennies. Il n’y a pas une recette unique, mais plein de manières adaptées au contexte local de faire de l’agroécologie. On retrouve un modèle circulaire où les fermes redeviennent autosuffisantes : elles produisent leurs propres intrants, leur propre énergie et réintroduisent de la biodiversité au sens large dans les cultures. Ce qui n’empêche pas de s’organiser de manière coopérative entre exploitations. Surtout, on revient à une agriculture où la qualité du sol est la clef. Or, aujourd’hui, les sols sont dans un état pitoyable, il faut les restaurer. Ils sont érodés par des décennies où l’on a pensé qu’ils étaient un simple support sur lequel on pouvait déverser des pesticides et des engrais minéraux.
• Votre documentaire est aussi une critique du libre-échange en matière agricole…
Oui, cela détruit et cela affame le monde plutôt que l’inverse. Au Mexique, par exemple, le traité de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada a mis l’agriculture du pays par terre. Il a été à l’origine des émeutes de la faim dans un pays qui n’en avait jamais connu. Ces émeutes et celles qui ont suivi dans d’autres pays ont créé un électrochoc chez pas mal de personnes à l’Onu. Il est intéressant de voir qu’au sein des Nations unies, il y a un consensus qui se dégage pour dire qu’il faut changer de cap et sur le fait que le protectionnisme en matière agricole n’est plus un gros mot. Au contraire, il faut protéger les productions nationales locales au Nord comme au Sud. Un représentant de la Cnuced (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) m’a d’ailleurs déclaré : "Dans le domaine agricole, le libre-échange est une farce." Depuis la crise financière, les spéculateurs et les fonds d’investissements se sont rabattus sur ce marché. Cela entraîne une énorme volatilité des prix qui est intenable pour des pays qui ont acccru leur dépendance alimentaire. Là, on va dans le mur.
• Les exemples que vous montrez dans le film ne sont-ils pas marginaux ?
Non, ces dernières années, il y a eu une série de rapports qui vont dans ce sens et qui montrent l’efficacité de l’agroécologie et de l’agroforesterie. L’agronome de l’Université de Berkeley, Miguel Altieri, montre très bien que si l’on prend en compte le ratio de l’énergie utilisé, les petites fermes pratiquant l’agroécologie sont en fait plus productives que les grandes. Ce n’est pas non plus un retour à l’âge de pierre. La technique du "push-pull" (qui joue sur les phénomènes d’attraction-répulsion entre les plantes et les ravageurs) est le fruit de recherches de pointe.
Entretien Gilles Toussaint
LLB, Mis en ligne le 20/09/2012
VOIR LA BANDE ANNONCE DU FILM.
VOIR UNE EMISSION DE PRéSENTATION.
VOIR AUSSI L’ARTICLE SUR LE FILM publié sur un site que je vous recommnande : LE MONDE QUI BOUGE
VOIR le débat qui a suivi la projection du film sur ARTE
Par ailleurs, voici le texte de la 4ème de couverture de son livre.
« Si on supprime les pesticides, la production agricole chutera de 40 % et on ne pourra pas nourrir le monde. » Prononcée par le patron de l’industrie agroalimentaire française, cette affirmation est répétée à l’envi par les promoteurs de l’agriculture industrielle. De son côté, Olivier de Schutter, le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations unies, affirme qu’il faut « changer de paradigme », car « l’agriculture est en train de créer les conditions de sa propre perte ». Pour lui, « seule l’agroécologie peut relever le défi de la faim et répondre aux besoins d’une population croissante ». D’après la FAO, il faudra augmenter la production agricole de 70 % pour nourrir 9 milliards de Terriens en 2050. Comment y parvenir ?
C’est à cette question que répond ici Marie-Monique Robin, en menant l’enquête sur quatre continents. S’appuyant sur les témoignages d’experts mais aussi de nombreux agriculteurs, elle dresse le bilan du modèle agro-industriel : non seulement il n’est pas parvenu à nourrir le monde, mais il participe largement au réchauffement climatique, épuise les sols, les ressources en eau et la biodiversité, et pousse vers les bidonvilles des millions de paysans. Et elle explique que, pratiquée sur des exploitations à hauteur d’homme, l’agroécologie peut être hautement efficace et qu’elle représente un modèle d’avenir productif et durable.
Du Mexique au Japon, en passant par le Malawi, le Kénya, le Sénégal, les États-Unis ou l’Allemagne, son enquête étonnante montre que l’on peut « faire autrement » pour résoudre la question alimentaire en respectant l’environnement et les ressources naturelles, à condition de revoir drastiquement le système de distribution des aliments et de redonner aux paysans un rôle clé dans cette évolution.