Voici des extraits du premier chapitre de son livre "Un Regard Latino sur l’Education Nouvelle" publié en 2009 et disponible au GBEN (082 699 576 - tél. et fax) au prix de 10 €.
LES MULTIPLES FACETTES DES SAVOIRS
Dans un village Mexicain
– Nos élèves commencent leurs additions du mauvais côté, m’explique un groupe d’enseignants. Nous avons mis au point des méthodes d’apprentissage pour les aider.
Leurs élèves, ce sont des adultes qui n’ont pas terminé l’école primaire. Ce sont des femmes, la plupart mères de famille. La vie leur a appris à calculer : pour évaluer la longueur d’un tissu, la quantité de matériaux de construction, la valeur d’une récolte ou le montant de leurs courses. Mais elles ont besoin d’un diplôme pour trouver un emploi.
Comment s’y prennent-elles pour faire des additions ? Elles commencent tout naturellement par les centaines, puis les dizaines, puis les unités. C’est plus intuitif : cela correspond aux manipulations concrètes d’objets ou d’argent. Pour compter 253 pesos, commencerait-on par les trois pièces de un ? Et pèserait-on d’abord les pommes éparses avant les sacs pleins ?
Cette manière de calculer est à l’opposé de ce qu’on enseigne à l’école. Selon les manuels scolaires, on doit d’abord ajouter les unités, puis on passe aux dizaines, etc. Si la somme des unités dépasse 10, il y aura une « retenue » qui affectera le chiffre des dizaines. En additionnant de droite à gauche, on peut le prévoir. Mais si on commence par les dizaines, on ne sait pas d’avance s’il faudra ajouter une retenue et donc on devra souvent se corriger et raturer son cahier. C’est ce que font les adultes qui n’ont pas appris à l’école.
– Voilà l’obstacle épistémologique, font remarquer les enseignants. Le fait qu’elles utilisent une méthode incorrecte, c’est cela qui rend difficile l’apprentissage. Nous avons dû faire preuve de beaucoup de patience pour les amener à changer.
Pourquoi les méthodes scolaires devraient-elles être les seules correctes ? Pourquoi le savoir des mères de famille serait-il inférieur ? Leur façon de calculer a fait ses preuves, elles l’emploient tout le temps. Pour elles, c’est ce qui a le plus de sens. L’école déracine les méthodes qui leur sont propres pour transplanter une méthode venue d’ailleurs. Pourquoi ?
Ce groupe d’enseignants était certain que les méthodes autochtones ne pouvaient pas être aussi bonnes que celles des livres, c’est-à-dire celles que dicte le ministère de l’éducation. Les mères de famille aussi en étaient probablement convaincues. Pourtant rien ne le prouve. Au contraire, ce qui a de la signification pour l’apprenant est toujours meilleur.
Cette attitude est très fréquente. Elle recouvre un préjugé fortement ancré dans les esprits, aussi bien chez les enseignants que chez les apprenants, qu’ils soient adultes ou enfants : que les élèves arrivent à l’école sans rien savoir de bon.
Cette idée préconçue a des conséquences graves. Non seulement parce qu’elle rend l’apprentissage moins efficace, mais surtout parce qu’elle rabaisse la pensée propre des élèves, nie la valeur de ce qu’ils apportent et leur fait croire que leur façon de voir est forcément erronée. On les fait renoncer à leurs savoirs naturels, à leurs représentations mentales, à leurs acquis personnels. Leurs points de vue sont gommés d’un trait, dorénavant ils doivent penser comme on leur dit. Ce qui est présenté comme rupture épistémologique n’est-il pas souvent une rupture sociale ?
Ce groupe d’enseignants avait déployé de grands efforts pour aider les mères de famille à apprendre la « bonne » méthode. Ils y réussirent. Toutes acquirent la compétence recherchée. Mais à quoi bon ?
Peu importe si l’enseignant supprime les cours magistraux et s’en tient au rôle de facilitateur. Peu importent les techniques pédagogiques qu’il emploie, le matériel didactique qu’il utilise, les méthodes d’évaluation qu’il propose. Peu importe si l’apprentissage se fait en groupes, de manière significative, active et constructive. L’effet est le même : l’élève est mis à sa place d’élève, c’est-à-dire d’ignorant.
Dans cette perspective, l’apprenant doit se soumettre aux méthodes des livres, il doit assimiler ce qu’il lit et ce qu’on lui dit. Bref, il doit se plier à une norme. Ce n’est pas lui qui décide des programmes d’étude. En fin de compte, ce qu’il acquiert, c’est une certaine perception du rôle des savoirs, de la fonction des enseignants et de la place qui lui est réservée.
L’apprenant acquiert inconsciemment une certaine perception de l’organisation sociale.
L’école ne transmet pas seulement des savoirs et des compétences, toutes transversales et citoyennes qu’elles soient. Elle inculque une vision de la société et de la place que chacun y occupe. Elle contribue à fixer dans les esprits l’idée d’une certaine organisation sociale.
Quelle est le modèle sociétaire que propage l’école ?
Traditionnellement, les connaissances sont présentées comme un bagage qu’on transmet....lire la suite sur le site du GBEN
Voici les références du livre :
Copyright Ph. Eenens, 2009
Guanajuato, eenens at gmail.com
ISBN : 978-2-9600887-1-7