Cette photo, emblématique, est significative à mes yeux pour trois raisons.
– D’abord, la prise en considération des peuples autochtones et de leurs cultures ;
– Ensuite la reconnaissance, aux yeux du monde entier, du sort qui leur a été fait : les traitements inhumains, un peu partout, quasi génocidaires, à l’égard des aborigènes en Australie, ou des Amérindiens au Canada, mais aussi, même si on en parle moins, en Amérique Latine et en Amérique du Nord, en Mongolie, en Afrique au Moyen-Orient...
– Le troisième aspect qu’évoque cette photo, évidemment, c’est la demande de pardon qu’enfin l’Eglise catholique s’est décidée à exprimer, reconnaissant par là, le comportement aberrant de l’Eglise au Canada (mais pas seulement). On peut espérer que les mots très forts du Pape François pour demander pardon sur le lieu même d’un des pensionnats autochtones soit suivis d’effets. [1]
Cependant, deux choses encore à souligner à ce propos : le temps qu’il a fallu à l’Eglise pour en arriver là, et comment être sûr que Rome puisse jouer réellement la transparence et reconnaître sa réelle implication dans les exactions commises ? (Voir l’article dans lemonde.fr)
En visite, lundi 25 juillet, dans un ancien pensionnat pour enfants autochtones au Canada, le pape François a demandé "pardon pour le mal commis" contre ces derniers, notamment dans les pensionnats pour enfants amérindiens gérés par l’Eglise. Il a également déploré que certains de ses membres aient "coopéré" à des politiques de "destruction culturelle".
"Je suis affligé. Je demande pardon", a déclaré le pape devant des milliers d’autochtones à Maskwacis, dans l’ouest du Canada. Evoquant une "erreur dévastatrice", il a reconnu la responsabilité de certains membres de l’Eglise dans ce système dans lequel "les enfants ont subi des abus physiques et verbaux, psychologiques et spirituels". Les paroles du pape, traduites en anglais, ont été accueillies par des applaudissements nourris après la demande de pardon.
Cela faisait sept ans qu’il était attendu au Canada pour présenter aux peuples autochtones du pays les excuses qu’ils réclament du Saint-Siège. Le pape François, qui refusait ce geste jusqu’au printemps, est arrivé, dimanche, à Edmonton (Alberta) pour une visite de six jours dans le pays, du 24 au 30 juillet, au Nunavut, dans le Grand Nord, a rencontré des représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits, les trois groupes reconnus.
Au total, le souverain pontife, âgé de 85 ans, a demandé "pardon" à trois reprises, "avec honte et clarté", lors de ce premier discours très attendu, prononcé en espagnol sur le site de l’ancien pensionnat d’Ermineskin.
"L’endroit où nous sommes maintenant fait résonner en moi un cri de douleur, un cri étouffé qui m’a accompagné ces derniers mois", a-t-il insisté, évoquant les "trausmatismes" subis par des générations d’autochtones et les "blessures encore ouvertes".
Au cœur de ce "pèlerinage pénitentiel", le douloureux chapitre des "écoles résidentielles" pour enfants autochtones, un système d’assimilation culturelle qui a fait au moins 6 000 morts entre la fin du XIXe siècle et les années 1990, a créé un traumatisme sur plusieurs générations.
"Les politiques d’assimilation ont fini par marginaliser systématiquement les peuples autochtones (…). Vos langues et vos cultures ont été dénigrées et supprimées, a encore affirmé François. Nous souvenir des expériences dévastatrices qui se sont déroulées dans les écoles résidentielles nous atteint, nous indigne et nous fait mal, mais cela est nécessaire.
Insistant sur la nécessité de "faire mémoire", le jésuite argentin a également affirmé que "les excuses [n’étaient] pas un point final" mais "seulement la première étape" sur la voie de la "guérison". Le gouvernement canadien, qui a versé des milliards de dollars en réparation à d’anciens élèves, s’était officiellement excusé il y a quatorze ans pour avoir créé ces écoles mises sur pied pour "tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant". Et l’Eglise anglicane avait, ensuite, fait de même. Mais l’Eglise catholique, chargée de plus de 60 % de ces pensionnats, avait toujours refusé de le faire jusqu’ici.
Vous serez sensible, comme moi, à la tension entre les deux. Comme un reflet de la tension entre le drame et le pardon, de ce qui s’est joué au Vatican et des enjeux au coeur du discours du pape, d’ailleurs, ce 26 juillet.
Je vous partage ici quelques extraits de ce discours, que l’on pourra lire en entier sur mon blog de larcenciel) [2]
Quelques extraits du discours du Pape François lors de la rencontre avec les Premières nations, les Métis et les Inuits autochtones
chers peuples autochtones de Maskwacis et de cette terre canadienne,
chers frères et soeurs,
J’attendais ce moment pour être parmi vous. C’est d’ici, de ce lieu tristement évocateur, que je voudrais entamer ce qui habite mon âme : un pèlerinage pénitentiel. Je viens sur vos terres natales pour vous dire personnellement combien je suis affligé, pour implorer de Dieu pardon, guérison et réconciliation, pour vous manifester ma proximité, prier avec vous et pour vous.
Je me souviens des rencontres que j’ai eues à Rome il y a quatre mois. On m’avait remis deux paires de mocassins, signe de la souffrance endurée par les enfants autochtones, surtout par ceux qui, malheureusement, ne revinrent jamais des écoles résidentielles à la maison. Il m’avait été demandé de rendre les mocassins une fois arrivé au Canada ; je le ferai à la fin de ce discours, pour lequel je voudrais justement m’inspirer de ce symbole qui a ravivé en moi la douleur, l’indignation et la honte durant ces derniers mois. Le souvenir de ces enfants suscite une douleur et incite à agir afin que chaque enfant soit traité avec amour, honneur et respect. Mais ces mocassins nous parlent aussi d’un cheminement, d’un parcours que nous désirons parcourir ensemble. Marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble, pour que les souffrances du passé cèdent la place à un avenir de justice, de guérison et de réconciliation.
C’est pourquoi la première étape de mon pèlerinage parmi vous se déroule dans cette région qui voit, depuis des temps immémoriaux, la présence des peuples autochtones. C’est un territoire qui nous parle, qui nous permet de faire mémoire.
Faire mémoire : frères et soeurs, vous avez vécu sur cette terre depuis des milliers d’années selon des modes de vie respectueux de la terre elle-même, héritée des générations passées et conservée pour les générations futures. Vous l’avez traitée comme un don du Créateur à partager avec les autres et à aimer en harmonie avec tout ce qui existe, dans une relation mutuelle de vie entre tous les êtres vivants. Vous avez ainsi appris à nourrir un sens de famille et de communauté, et vous avez développé des liens solides entre les générations, en honorant les personnes âgées et en prenant soin des plus petits. Que de bonnes coutumes et d’enseignements, centrés sur l’attention aux autres et sur l’amour de la vérité, sur le courage et le respect, l’humilité et l’honnêteté, sur la sagesse de la vie !
Mais, si tels ont été les premiers pas accomplis sur ces territoires, la mémoire nous ramène tristement aux suivants.
(...)
Il est nécessaire de rappeler à quel point les politiques d’assimilation et d’affranchissement, comprenant également le système des écoles résidentielles, ont été dévastatrices pour les habitants de ces terres. Lorsque les colons européens y sont arrivés pour la première fois, il y avait cette grande opportunité de développer une rencontre fructueuse entre les cultures, les traditions et la spiritualité. Mais dans une large mesure, cela ne s’est pas produit. Et vos récits me reviennent à l’esprit : comment les politiques d’assimilation ont fini par marginaliser systématiquement les peuples autochtones ; de même comment, à travers le système des écoles résidentielles, vos langues et vos cultures ont été dénigrées et supprimées ; comment les enfants ont subi des abus physiques et verbaux, psychologiques et spirituels ; comment ils ont été éloignés de chez eux quand ils étaient petits et combien cela a marqué de manière indélébile la relation entre parents et enfants, grands-parents et petits-enfants.
(...)
Je suis ici parce que la première étape de ce pèlerinage pénitentiel au milieu de vous est celle de renouveler la demande de pardon et de vous dire, de tout mon coeur, que je suis profondément affligé : je demande pardon pour la manière dont, malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones. Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des écoles résidentielles.
(...)
Chers frères et soeurs, bon nombre d’entre vous et de vos représentants ont affirmé que les excuses ne sont pas un point final. Je suis entièrement d’accord : elles constituent seulement la première étape, le point de départ. J’ai moi aussi conscience que, “considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant” et que, “considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées” (Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018). Une partie importante de ce processus consiste à mener une sérieuse recherche sur la vérité du passé et à aider les survivants des écoles résidentielles à entreprendre des chemins de guérison pour les traumatismes subis.
Lire le texte complet de ce discours du 26 juillet sur le site ZENIT ou aussi sur mon blog de larcenciel.
Découverte de corps d’enfants autochtones : comme si le Canada "se réveillait d’une longue amnésie"
D’après un texte de Cyrielle CABOT Publié le : 28/06/2021 par France 24
Au Canada, la découverte de restes de plusieurs centaines d’enfants à proximité d’anciens pensionnats autochtones a provoqué stupeur et indignation dans le pays. Au-delà des hommages, certains appellent à une réelle prise de conscience afin de renverser "l’invisibilisation" des Premières Nations.
"C’est une confrontation brutale à la réalité", juge Marie-Pierre Bousquet, anthropologue et directrice du programme en études autochtones à l’Université de Montréal, dans un entretien à France 24. Pour la deuxième fois en moins d’un mois, la découverte de centaines de tombes anonymes, vraisemblablement d’enfants pour la plupart, aux abords d’un pensionnat pour autochtones de l’ouest du Canada, a provoqué une vive émotion et la stupéfaction de l’ensemble de la population.
Tandis que les hommages se multiplient, des voix s’élèvent désormais pour dénoncer une "invisibilisation" des Premières Nations – nom donné aux peuples autochtones canadiens – et de leur hi
stoire.
"Ces pensionnats autochtones – on en dénombre officiellement 140 – ont été mis en place dans les années 1880. Le dernier a fermé en 1996", rappelle Marie-Pierre Bousquet. "Le plus souvent gérés par l’Église catholique, leur objectif était de ’civiliser’ les enfants des Premières Nations."
"Pendant près d’un siècle, l’État a ainsi arraché plus de 150 000 enfants amérindiens, métis ou inuits, à leur famille pour les assimiler à la culture blanche dominante", poursuit-elle. Un rapport publié en 2015 estime qu’entre 4 000 et 6 000 seraient morts dans ces institutions sous l’effet de maladies, de sous-nutrition, de maltraitances ou d’abus sexuels.
"Les pensionnats restaient un sujet très tabou"
"Ces découvertes sont un choc national. Pourtant, elles n’avaient rien de surprenant. On savait que des enfants étaient morts et qu’on retrouverait un jour leur sépulture", estime la spécialiste.
Dès les années 1940, des médias avaient relaté des fugues d’enfants scolarisés dans des pensionnats, jamais retrouvés. Quelques médecins avaient par ailleurs tiré la sonnette d’alarme, en vain. "Mais à partir des années 1990, grâce au témoignage d’un ancien pensionnaire devenu homme politique, on a assisté à une libération de la parole parmi les survivants", rappelle Marie-Pierre Bosquet.
(...)"Maintenant que les sépultures sont bien visibles, c’est comme si la population se réveillait d’une longue amnésie."
Fin mai 2021, la découverte d’une fosse commune sur le terrain de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, près de Vancouver, en Colombie-Britannique (ouest), avec les restes de 215 enfants à Kamloops, a suscité effroi et colère dans le pays. Symboliquement, le drapeau canadien de la tour de la Paix à Ottawa est resté en berne pour rendre hommage aux enfants autochtones.
Une nomination historique.
Alors que le pays est endeuillé par la découverte de plus d’un millier de tombes anonymes près d’anciens pensionnats pour autochtones, Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, a annoncé le 6 juillet 2021 avoir désigné Mary Simon nouvelle représentante officielle de la reine Elizabeth II au Canada. Premièroe femme autocht
one à ce poste.
Née en 1947, cette Inuit originaire du Nunavik (nord du Québec) a notamment été une "défenseuse des droits et de la culture" de cette tribu, selon Justin Trudeau. Elle a aussi été animatrice de radio pour la chaîne anglophone CBC.
Désormais 30e gouverneure générale, Mary Simon a souligné une "opportunité historique" en remerciant le chef du gouvernement canadien, qui a fait de la réconciliation avec les peuples autochtones l’une de ses priorités.
"Je peux dire avec confiance que ma nomination est un moment historique et inspirant pour le Canada, et un pas important vers le long chemin de la réconciliation", a-t-elle ajouté.