Objets connectés, streaming, fabrication, extraction de métaux… En 2025, le numérique devrait atteindre 6 % de l’empreinte environnementale de l’humanité. Des "écogestes" sont possibles.
Sophie Devillers - LLB du mercredi 13 novembre 2019
Bela Loto est la cofondatrice de Point de M.I.R, la Maison de l’informatique responsable, à Paris, qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens aux impacts environnementaux du numérique. Nous l’avons rencontrée lors de son passage à Bruxelles, alors qu’elle était invitée par la Commission justice et paix, ONG belge. La part mondiale du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre est passée de 2,2 % en 2010 à 3,8 % - soit davantage que le trafic aérien - et continue à grandir.
Selon Bela Loto, 70 à 80 % de l’empreinte environnementale du numérique sont liés à l’extraction des matériaux nécessaires et à la fabrication. Le reste se partage entre une fin de vie mal gérée et l’usage. Même si l’impact de l’usage est moins important que la fin de vie, celui-ci est néanmoins en augmentation.
Pourquoi cette croissance de l’impact environnemental du numérique et cette part toujours grandissante de l’usage, au sein de cet impact ?
La croissance de l’impact environnemental du numérique, c’est dû à l’explosion du nombre de périphériques (34 milliards). Plus de 50 % de la population mondiale est connectée. Tous pays confondus, il y a 8 périphériques par personne. Et pour la part de l’usage, c’est la mobilité qui a fait cela. Nos périphériques mobiles aidés par les protocoles de communication de type 4G ont fait que, par effet rebond, on est de plus en plus en train de solliciter des services numériques qu’on ne sollicitait pas auparavant. Il suffit qu’on puisse avoir en main un smartphone qui peut avoir une connexion Internet pour avoir envie ou besoin d’être connecté à Internet. Le streaming en 4G sur un smartphone, par exemple, c’est le trio perdant, en matière d’empreinte.
C’est-à-dire ?
Le smartphone a déjà coûté très cher à l’environnement pour le fabriquer, puis, il y a l’usage d’un protocole qui est très énergivore, la 4G plutôt que le wi-fi et l’ADSL. En bref, ce qui est filaire est moins énergivore que tout ce qui est lié à des ondes en termes de transport de données. Pour le streaming, ça nécessite de mettre en branle toute une chaîne de périphériques : du smartphone qu’on a dans les mains, jusqu’au data center où se trouve la série que l’on veut regarder. Et on met en branle cela durant le flux continu (streaming veut dire flux continu). On est en train d’agiter tous les drapeaux pendant le temps de notre visionnage. C’est très impactant. Il faudrait streamer moins. Et si on veut streamer, on peut co-streamer. C’est-à-dire streamer avec quelqu’un, comme on faisait, quand on regardait la télé en famille ! Quand on est à la maison, essayer de quitter la 4G pour se mettre sur le wi-fi, ou tout simplement en ADSL. Si on a l’information, et si on a envie d’avoir moins d’impact, ce geste est à la portée de tout le monde.
Quid de la 5G, qui s’annonce chez nous ?
Tout ce qui est G - on a eu la 3G, 4G - c’est plus énergivore que n’importe quel autre type de communication. Le wi-fi étant moins énergivore, un petit peu moins que la 4G, et l’ADSL encore moins. Donc, avec la 5G, on est dans la consommation d’énergie encore plus folle. On ne sait pas encore combien de fois cela sera plus énergivore. Mais entre la 4G et l’ADSL, c’est déjà plus de 20 fois plus énergivore. Il y en a qui me disent : non, je ne veux pas me remettre à l’ADSL, avec le câble et me replugger. Mais tu peux toujours le faire si tu y penses ! Par ailleurs, pour pouvoir obtenir la 5G, il va aussi falloir changer de périphériques, car ils ne seront pas compatibles. Résultat des courses, on va faire de l’obsolescence liée à un nouveau protocole. On n’est pas obligé d’avoir la 5G pour pouvoir subsister ! Il faut un peu se calmer !
On prévoit que la 5G va hausser le nombre d’objets connectés, ce qui fera croître l’empreinte du numérique…
En effet. Déjà, il y a une explosion prévue. D’après le rapport de l’expert Frédéric Bordage, entre 2010 et 2025, la taille de l’univers numérique, en équipements, va quintupler (et son empreinte environnementale passer de 2,5 à 6 %, NdlR). On aura 48 milliards d’objets connectés (18 à 23 % des impacts en 2025). Du coup, on fait appel à de nouveaux services numériques qui sont plus ou moins pertinents.
Certains doivent vous considérer comme rétrograde. Que leur répondez-vous ?
Ce que je leur dis : ce n’est pas revenir en arrière, c’est être conscient de ses besoins et ne pas aller à la course à l’échalote, pour faire plaisir au grand fabricant qui a toujours une super idée pour faire un modèle différent. Henry David Thoreau (1817-1862) disait déjà qu’on était devenu l’outil de notre outil. Moi, je ne veux pas devenir l’outil de mon outil. Mon ordinateur et mon smartphone, mon objet numérique, restera mon esclave. Il n’a pas d’âme et je suis maître du jeu. Ce n’est pas rétrograde de plaider pour un minimalisme, ou low tech, c’est au contraire être durable, ça permet d’avoir une longueur d’avance et d’être libre. L’humanité ne peut pas se passer du numérique, mais il faut remettre l’outil à sa place.
5 écogestes pour réduire notre empreinte environnementale numérique
Comment réduire notre impact environnemental lié au numérique ? Voici cinq idées.
1) Allonger la durée de vie des appareils
Pour réduire notre impact, le tout premier conseil est l’allongement de la durée de vie de l’appareil, en en prenant soin. Cela peut aussi passer par l’acquisition d’occasion, le reconditionnement, ou encore la location de matériel. Pour éviter l’impact en fin de vie, on peut rapporter le matériel au magasin lors d’un nouvel achat, ou le déposer dans un point de collecte. Avant tout achat, évaluer d’abord soigneusement nos besoins fonctionnels, conseille Point de M.I.R.
2) Éviter l’énergie vampire
Dans l’utilisation quotidienne, veiller à bien gérer l’énergie. "Je suis pour l’extinction des feux, y compris dans l’entreprise, indique Bela Loto. On éteint tous nos ordinateurs la nuit, par exemple s’il n’y a pas de mises à jour prévues. C’est aussi lutter contre les veilles cachées - les voyants lumineux - ce qu’on appelle l’énergie vampire. Installer des multiprises à interrupteur économise 80 euros par an dans un ménage français." En particulier, éteindre la box, "tête chercheuse toujours en train de travailler", la nuit où l’on ne s’en sert pas, ou la journée où l’on est au boulot. Limiter l’usage du streaming sur le smartphone ou encore la luminosité de nos écrans.
3) Limiter la taille des écrans
Limiter la taille des écrans plats. Entre autres, plus c’est grand, plus ça consomme. La taille des écrans va doubler entre 2010 et 2025, selon l’expert Frédéric Bordage et l’impact environnemental des télés (numériques) va sévèrement augmenter (9 à 26 % des impacts en 2025).
4) Privilégier les sites écoconçus
Favoriser l’écoconception dans les services numériques (sites web et applications). "Il s’agit d’adopter une démarche de frugalité pour les sites internet, explique Bela Loto. Il faut se poser la question : que veux-je faire sur mon site ? Que l’usager puisse cliquer là, avoir cette info… L’idée est de ne pas balancer des animations qui ne servent à rien, poster des photos trop grandes et trop gourmandes… Il faut essayer de solliciter le moins possible le microprocesseur de l’appareil, les ressources Internet : moins de requêtes et d’aller et retour avec les serveurs. Un site écoconçu, c’est un site qui est adapté à ce que l’on veut, ergonomique, sobre, mais pas forcément moche ! Il commence à y avoir des développeurs dont c’est la spécialité."
5) Purger les pièces jointes
Dans la messagerie, purgez les pièces jointes, pour éviter leur stockage. Éviter aussi d’en envoyer.
Sophie Devillers - LLB du mercredi 13 novembre 2019