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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Rencontres (2 )
Pâques 2006 (suite et fin)
Article mis en ligne le 30 septembre 2007
dernière modification le 1er octobre 2007

Extraits d’un "carnet de voyage" (Seconde partie)

(Certains prénoms ont été changés)

Ziad à Bethléem

Ziad travaille dans un centre d’animation culturelle, de contact et de relations publiques au service de la population du camp de réfugiés de Deheishe, à Bethléem : un des 7 camps créés après 1948, 11.000 personnes y vivent sur moins de 1 km2.

Un symbole de la situation Palestinienne

La parole facile, et l’habitude de piloter des groupes dans les ruelles du camps et d’expliquer brillamment ce qui s’y passe :
Le camps, comme tous les autres dépend de l’UNDRA (Nations Unies). Au départ, le camp consistait dans un ensemble de tentes entourées de clôtures. Puis les gens ont été autorisé à cons-truire des maisons d’une seule pièce. Vu la surpopulation, sont autorisés maintenant des bâtiments de cinq étages. Mais les maisons sont toujours surpeuplées (souvent une trentaine de personnes dans 3 pièces). Un tel espace est étroitement surveillé par l’armée d’occupation. Un durcissement s’est produit récemment à titre de punition pour l’élection du Hamas à la tête du Conseil palestinien.
Le Centre culturel a développé des activités de qualité, notamment une troupe de danses qui est maintenant demandée dans le monde entier, et aussi des activités multimédia, vidéo, émissions de radio-TV, informatique... En principe, de tels camps sont des lieux d’attente dans la perspective du retour. Mais dans le cadre du centre culturel, on réfléchit sur une nouvelle stratégie à long terme. Pour résister à l’occupation, il y a autre chose à faire que de jeter des pierres. Il s’agit de créer des leaders autonomes et qui ne dépendent pas de l’étranger.

Le lendemain, Ziad nous dresse un tableau de la question des réfugiés.
Sur une population totale estimée à 9 millions de Palestiniens dans le monde, 6 millions sont dispersés dans le monde. Certains sont des "réfugiés", d’autre pas. Et il y a les réfugiés de l’intérieur.
L’histoire des réfugiés commence vraiment en 1948. Si les réfugiés chrétiens chassés de chez eux sont en général partis vers les villes où des Églises pouvaient les accueillir, les autres sont en Palestine, dans des camps comme celui de BAdalta, que nous sommes allé voir à Naplouse, ou celui-ci, à Bethléem, ou réfugiés dans les pays voisins. Sur un total de 4 millions 250.000 réfugiés, 1 million 650.000 vivent en Palestine, et 2 millions 600.000 hors de Palestine. Vivent encore dans les camps en Palestine, 650.000 réfugiés. [1]
Ceux du Nord sont partis au Sud Liban ou en Syrie, ceux des environs du Jourdain sont partis en Jordanie, d’autres sont allés à Gaza, qui était égyptien.
Lui, Ziad, vient de Zacharie, un village qui n’existe plus. Il n’a gardé, comme la plupart des réfugiés, que la clé de sa maison, que sa mère à emporté quand elle est partie avec ses enfants. Le principe sioniste, dit Ziad, était "un peuple sans terre pour une terre sans peuple", faisant mine de considérer qu’il n’y avait personne, une terre inhabitée.
"La génération qui a subi l’expulsion mourra, la génération suivante oubliera", a dit Ben Gourion.

Comme réfugié, Ziad se sent amoindri par rapport aux autres Palestiniens, parce qu’il n’a pas de lieu où retourner. Ici, il n’est pas chez lui, ce n’est pas sa terre, contrairement aux autres Palestiniens. Sa mère a essayé de le dissuader de faire de la politique, mais "c’est la politique qui nous rejoint" dit-il : chercher à trouver la clé du problème, de voir au delà de l’immédiat. Certains essaient de résoudre le problème individuellement, en partant à l’étranger, d’autres essaient d’agir depuis l’étranger, mais ils ne se sentent pas libres, parce qu’ils ne peuvent revenir chez eux.
La résolution 194 des Nations Unies parle du "droit au retour", elle est toujours d’application, a été revotée de nombreuses fois : c’est un droit au retour ou à recevoir une compensation. Ce droit est LA clé. Ce droit, dit Ziad, ce n’est pas jeter les juifs à la mer, mais avoir le choix de vivre où on veut vivre. Pouvoir choisir où l’on veut habiter, en somme d’être comme tout le monde…Tel est le sens du geste qui consiste à garder la clé de la maison dont on a été expulsé…

La jeune génération des réfugiés est sans espoir. Et sans espoir de vie, on est prêt à mourir. Le but des activités menées au Centre, c’est de permettre de renouer avec l’espoir par l’expression culturelle, artistique, médiatique et le sport (le basket est omniprésent ici, parce que le club du camp est champion).

Ziad milite pour un seul État bi-national, où Juifs et Palestiniens puissent vivre en harmonie. Il ne veut pas d’un État palestinien pur. Sûrement pas d’un État palestinien dominé par les musulmans (le Hamas) à côté d’un État israélien juif. S’il y a un "État Hamas", nous dit-il avec humour, il viendra se réfugier en Belgique !

Dans une école de Qalqiliya

Aucun leader politique, nous dit-il enfin, même pas Arafat, n’a compris la position, le droit et les besoins des réfugiés. Jérusalem, capitale religieuse, cela lui est égal : "On peut prier n’importe où, mais on ne peut habiter n’importe où."

Une jeune Israélienne

Elle surveille les soldats au check point de Awara sur la route de Naplouse.
Elle vient tout les matins de Tel Aviv, avec une collègue du Mouvement des femmes Machson Watch (voir "Où est la limite ?" dans ce numéro de l’Arc en ciel). Elle est psychologue.

Elle a fait deux ans de service militaire dans l’armée israélienne il y a dix ans, à une époque où il n’y avait pas de "refuznik", ces soldats qui refusent de faire le sale boulot qu’on leur fait faire dans les territoires palestiniens. (Ils sont maintenant 2.000. Un petit nombre. Mais à l’échelle de l’armée américaine, cela ferait une proportion de 400.000 objecteurs de conscience, nous fait-on remarquer !). Je l’interroge sur ce qu’elle pense de la colonisation et du Mur : le mur est une folie. C’est une expression qui revient souvent chez les jeunes Israéliens contestataires, il me semble. Elle relève ce que font les soldats, et témoigne.

Parfois dit-elle, ils sont grossiers, surtout avec les jeunes palestiniennes. Là, aujourd’hui, ils maintiennent bloqué dans un coin depuis ce matin un jeune palestinien qui voulait aller à Naplouse pour faire soigner sa jambe, abîmée. Il ne pourra pas y aller, parce qu’il est fiché : il est sur une liste de lanceurs de pierre de la première Intifada, qui date de 1987...
La jeune israélienne est, comme nous, et comme sa collègue, révoltée.

Le père de nos deux chauffeurs

Il nous reçoit dans sa toute belle nouvelle maison, dans Jérusalem Est. C’est un noble monsieur qui nous reçoit en grand seigneur dans son beau salon. Il nous présente son épouse et, au fur et à mesure qu’ils ou elles rentrent, ses filles et ses fils. Il est garagiste depuis 40 ans. La journée, malgré ses 60 et des ans, il continue à réparer les voitures en bleu de travail, avec son fils qui est aussi professeur de physique dans une école de Jérusalem. Ils gèrent maintenant aussi une petite entreprise de taxis et de cars. Ils ont de l’argent, beaucoup semble-t-il, mais travaillent en famille de jour comme de nuit. Deux de ces fils sont nos chauffeurs tout au long de notre périple. L’un est professeur de physique, l’autre professeur d’histoire. Tous ses enfants, filles comme garçons, ont fait des études. Il nous raconte ce qu’il a dû faire pour avoir sa maison : cinq ans de pourparler et de tracasseries avec l’administration israélienne qui fait tout pour empêcher les Palestiniens de construire dans la banlieue de Jérusalem. Les taxes sont énormes, et chaque mètre carré supplémentaire coûte. Ses taxis roulent avec des plaques israéliennes, ce qui leur permet de passer plus facilement aux check points... et cela nous facilite la vie !

wafa

Enfants de Palestine

Nous rencontrons Wafa le dernier jour, de retour à Jérusalem. Elle s’occupe du "Centre for Jé-rusalem studies", qui garantit la présence dans la ville même de Jérusalem de l’Université Arabe Palestinienne Al Quds, située à l’extérieur (8000 étudiants). Mais seuls sont admis dans ce centre les étudiants considérés comme résidents de Jérusalem (carte d’identité bleue) ou arabes israéliens. Elle-même vit dans le centre historique de Jérusalem, dans une vieille maison que sa famille habite depuis 150 ans, et travaille à temps complet au Centre qu’elle dirige dans la vieille ville de Jérusalem. C’est dire son étonnement de recevoir, il y a quelques semaines une lettre des autorités israéliennes la priant de faire ses bagages et de partir habiter ailleurs, sous prétexte qu’elle "n’a pas son centre de vie" à Jérusalem. Il faut dire qu’elle a, par son mari, la nationalité française. Il lui reste quelques jours pour fournir toutes les preuves qu’elle est bien de Jérusalem... "jusqu’aux certificats de vaccination de son chien", dit-elle. Si les israéliens l’expulsent, elle compte bien ne pas se laisser faire, alerter les media et introduire un recours devant les tribunaux. Son cas est un exemple typique de la pression exercée sur la population palestinienne de Jérusalem pour la faire partir. Le fond du problème est qu’Israël tient à maintenir à Jérusalem un taux de population supérieur à celui de la population arabe palestinienne, où le rythme des naissance est nettement plus élevé. Toute la politique de colonisation autour de Jérusalem et d’enfermement de la ville vise, outre la volonté d’annexion, cet équilibre des populations, et avoir des arguments pour refuser à Jérusalem le statut de capitale du futur État palestinien.

Albert Agazarian

Albert Agazarian, qui nous guide dans Jérusalem, complète ces informations. Il est historien, professeur honoraire à l’Université de Birzeit. Il est arménien palestinien.

"La Palestine, explique-t-il, comporte une série de couches archéologiques et culturelles. Toutes ces couches appartiennent à la terre."
L’histoire de cette terre est une succession d’occupations.
Chronologiquement, la "Palestine" à connu la domination des : Cananéens, Hébreux, Assyriens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Croisés, Ottomans et Britanniques.
Le problème du sionisme, c’est qu’il isole une couche. Si on considère seulement la couche hébraïque, en éliminant toutes les autres, on oublie la diversité. Cet perte des différences culturelles se pose aussi à l’intérieur de la société juive. Le problème de cette région, c’est ce binôme : « culture du pouvoir ; pouvoir d’une culture. »

Jérusalem est une ville miroir. Il est trop simpliste de dire "villes arabe, juive, chrétienne et arménienne". Mon nom est un nom arménien. Les Arméniens ont été la première nation a avoir adopté le christianisme comme religion d’État. La couche la plus récente, Musulmane, se considère comme l’achèvement du christianisme, la fermeture du cercle judéo-chrétien, les musulmans considérant Abraham et Jésus comme des prophètes et tous les prophètes "cumulent" dans le dernier qui est Mahomet.
Être en haut ne veut pas dire que les autres sont en bas, et se dire bon ne veut pas dire que les autres sont mauvais. Le mélange d’ignorance et d’orgueil est très dangereux, dit-il.
Donner valeur à la diversité, au contraire, c’est considérer que chacun a droit à avoir un attachement à une couche plutôt qu’à une autre, mais on ne peut pas pour autant délégitimer les autres couches.

Albert Agazarian revendique la couche mamelouk. Il ajoute que quand on lui demande pourquoi cette couche, il répond : "pourquoi pas ?"
L’historien qu’il est nous apprend qu’entre 1839 et 1856, il y a eu une sorte de "perestroïka" dans l’empire ottoman, une période de réforme. Cela commence entre 1831 et 1839, par une invasion égyptienne. Mohammed Ali est fasciné par la France, et fait la nique aux Anglais, qui dominent la région. Les Anglais veulent se venger de l’outrecuidance de cet homme, et en le repoussant vers l’Égypte, commencent à parler de "réforme". Ce que les Anglais ont gagné à ce jeu, c’est le premier consulat anglais dans la région, et une première chapelle, celle du consul britannique, construite sur une synagogue, et fondée par des chrétiens messianiques et fondamentalistes dans la perspective du retour des Juifs. Ainsi s’est développé l’idée du retour des juifs en Palestine, qui est une idée chrétienne messianique, au départ, pas une idée juive. Un rabbin juif allemand, converti à l’Église anglicane, Samuel G, ouvre alors des écoles "universalistes" sur la base de "notre Dieu est plus grand que tous les autres" et "Nous sommes les seuls enfants de Dieu". "Tous les juifs devraient revenir ici et attendre la venue du Messie". Il s’agissait pour ainsi dire de rallier les autres à sa propre communauté, celle "des enfants du Dieu le plus grand". Le ralliement ne s’est pas produit, et les colons se réclament maintenant d’une autre "Dieu plus grand".

Ces intégristes chrétiens protestants, messianiques et millénaristes (Georges Bush n’est pas loin), établissent, encore aujourd’hui, une alliance objective avec les extrémistes juifs.
A l’université de Bir Zeit, s’inscrit un autre courant, celui de la justice universelle : "Nous sommes enfants de Dieu différemment, mais quelque chose nous est commun".

Un autre aspect du problème est celui de l’espace.
L’espace de Jérusalem est labyrinthique, tout comme l’histoire de la ville a été mouvementée et a abouti à la situation actuelle.

Les 4 cartes

L’idée de vouloir un "État juif", et non un État pour les juifs, entraîne une conséquence dramatique. Pour qu’un État soit considéré comme "juif", il faut bien évidemment qu’il réunisse une majorité de juifs. On a donc décrété que les non Juifs devraient au maximum constituer 30% de la population de Jérusalem, et même que les Juifs devraient devenir majoritaires à Jérusalem-Est. Le problème d’Israël, c’est qu’il n’est pas un territoire accueillant : on ne peut être un État "juif" quand au moins 20% de la population n’est pas juive… Et plus de 30 %, c’est insupportable !
Le drame de cette vision des choses, c’est que la population arabe augmente bien plus vite que la population israélienne. Faire des enfants est d’ailleurs en Palestine, un moyen et un signe de résistance.
Ainsi, Albert Agazarian distingue trois niveaux de problème : historique, démographique (et donc identitaire) et puis territorial, avant de nous guider dans Jérusalem pour aller voir tout cela sur place, et notamment les habitations juives établies sur les toits des quartiers arabes, avec une plaine de jeux réservée à leurs enfants. Sur les toits, un homme armé d’un revolver nous surveille.

Nous redescendons dans le quartier arménien.
Avec soulagement.

Michel Simonis

Enfants à Naplouse