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Michel Simonis

"Il nous faut absolument inverser le raisonnement"
Article mis en ligne le 2 mai 2022

Jean-Marc Jancovici sur le climat : "Il nous faut absolument inverser le raisonnement"

Au lendemain de l’élection présidentielle, le fondateur du Shift Project, Jean-Marc Jancovici, s’inquiète de voir grandir "une forme d’angoisse et de désespoir" face au défi du réchauffement climatique.

"Il nous faut absolument inverser le raisonnement"

Propos recueillis par Lucas Mediavilla et Pascal Pogam

Publié le 25/04/2022
L’Express - Dans l’hebdo du 28 avril 2022

(Extraits)

L’Express : Avant de nous projeter dans le prochain quinquennat, arrêtons-nous un instant sur le mandat qui s’achève : face à l’urgence climatique, diriez-vous que la politique menée par Emmanuel Macron a été à la hauteur des enjeux ? 

Jean-Marc Jancovici : Si je devais résumer d’une formule son action pour le climat depuis 2017, je dirais qu’elle se situe quelque part entre "timide" et "cinq ans de perdu"... Entendons-nous bien : à l’échelle de la planète, ce que la France a fait ou pas ces cinq dernières années compte moins que ce que la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis ont pu faire. Quand je dis "cinq ans de perdu", je constate simplement que collectivement, nous n’avons pas changé de logiciel. Nous continuons à vivre avec des schémas mentaux datant de l’époque où il n’y avait pas de contrainte, et qui, de ce fait, ne nous préparent absolument pas à ce qui va nous tomber dessus. 

Le premier quinquennat Macron n’a rien changé de ce point de vue. Il n’a en rien favorisé ce que j’appelle "l’inversion des critères de décision". Tant qu’on abordera la lutte contre le changement climatique à travers le prisme de la pertinence économique, on fera fausse route. Nous continuons de considérer que le critère à optimiser en priorité est un critère conventionnel et humain qui s’appelle l’argent. Après seulement, on se préoccupe des paramètres physiques de l’équation, à savoir le CO2. Cette hiérarchisation ne permettra jamais de régler le problème. La seule façon de nous en sortir est d’inverser le raisonnement, en faisant passer les contraintes physiques - la baisse drastique des émissions - avant l’économie. Tout le reste n’est que bricolage. 

La prise de conscience est là, pourtant. Jamais les enjeux climatiques n’avaient été à ce point présents dans une campagne... 

On a progressé sur le sentiment d’urgence. Je ne sais pas si on peut appeler cela un progrès, mais c’est vrai, les choses ont bougé sur ce terrain-là. En revanche, on n’a pas beaucoup avancé sur la compréhension globale des enjeux, ce qui fait qu’au niveau politique, comme il y a cinq ans, l’essentiel des propositions formulées pour régler le problème sont des propositions de croissance verte. Y compris chez les écolos et Mélenchon. L’argent passe avant les flux physiques. On continue à penser l’univers comme si son expansion allait de soi... On va vite s’apercevoir que ce n’est pas le cas. 


Nous n’échapperons pas à la décroissance

Jean-Marc Jancovici
Extraits d’une interview dans La Croix en février 2022

Lire le texte entier, ici

Infatigable lanceur d’alerte, Jean-Marc Jancovici annonce, depuis des années, la fin d’un monde dont la prospérité s’est bâtie sur les énergies fossiles abondantes et peu chères. Et propose pour le remplacer un plan de transition écologique qui bouscule.

Dans votre dernier ouvrage « Le monde sans fin« , vous racontez avoir été « saisi » par la question du réchauffement climatique. Saisi par quoi ?

Jean-Marc Jancovici : J’ai découvert cette question un peu par hasard dans les années 1990. J’ai alors eu envie de comprendre de quoi il retournait. Je me suis formé en organisant une série de conférences pour l’association des anciens élèves de l’X, qui faisaient intervenir des scientifiques sur le fonctionnement du climat – atmosphère, océans… – et des ingénieurs pour comprendre le lien entre les émissions et nos modes de production et de consommation. C’est alors que je me suis rendu compte qu’on avait face à nous un problème dont l’ampleur m’est parue en total décalage avec l’absence de place qu’on lui accordait dans les médias.
(...)

En 2007, j’ai co-fondé, avec l’économiste Alain Grandjean, Carbone 4, qui propose conseil et données aux acteurs économiques en matière de décarbonation de leurs activités et d’adaptation au changement climatique. Via Carbone 4 ou The Shift Project, qui est la version associative de mon activité, pousser à l’action est la tâche qui occupe l’essentiel de mon temps.

Vous menez, en parallèle, une intense activité de vulgarisateur en multipliant les livres et les conférences. En vingt ans, avez-vous perçu un progrès dans la compréhension de l’enjeu ?

J.-M. J. : Les gens sont certainement plus sensibles au problème, mais est-ce qu’ils l’ont mieux compris ? Ce n’est pas sûr. Quand je parle avec des responsables politiques, je constate qu’ils sont peu nombreux à cerner les tenants et aboutissants de manière correcte. Sur la question du pétrole notamment, on n’a pas progressé d’un iota. Globalement, nos dirigeants n’ont toujours pas intégré que le pic de production du pétrole conventionnel était dépassé depuis au moins dix ans et que, pour cette simple raison, l’économie ne repartira jamais comme avant. C’est pareil pour les médias qui, sur ce plan, sont restés au degré zéro de l’information.
(...)

Sur le fond, votre discours ne varie pas. Nos sociétés développées bâties sur les énergies fossiles seraient, selon vous, condamnées. Sur quoi se fonde cette conviction ?

J.-M. J. : Sur deux faits. Le premier est biologique : il faut des dizaines ou centaines de millions d’années à la nature pour « fabriquer » des combustibles fossiles, charbon, gaz et pétrole. L’autre est mathématique : quand vous disposez d’un stock de départ donné une fois pour toutes, l’extraction annuelle ne peut que tendre vers zéro à l’infini. Conclusion : s’il n’y a plus de combustibles fossiles, cela condamne la civilisation basée dessus. Pendant deux siècles, nous avons bénéficié d’une énergie de plus en plus abondante et gratuite, fournie gracieusement par dame Nature, ce qui a permis des gains de productivité incroyables. Mais le système se heurte désormais à une double limite physique : celle des ressources à l’amont, et de la taille de la poubelle atmosphérique à l’aval.
(...)

Pour tenir le réchauffement dans la limite d’une hausse de 2 °C, il faudrait réduire les émissions de GES de 4 % par an. C’est ce qui s’est passé avec la crise du Covid au niveau mondial, avec les conséquences économiques et sociales que l’on sait. Le remède ne serait-il pas pire que le mal ?

J.-M. J. : Quelle est l’alternative ? Qu’on le veuille ou non, nous n’échapperons pas à la décroissance, et il vaut mieux s’y préparer dès maintenant. Si l’on ne fait pas d’efforts pour organiser la réduction volontaire des émissions, nous aurons des réductions subies, à l’occasion de crises économiques successives et massives et/ou de diminutions de population. On en revient à votre première question. Être saisi, c’est toucher du doigt la fragilité de notre système derrière sa performance.

À vous écouter, il faudrait tout repenser, tout reconstruire sur de nouvelles bases. Mais par où commencer ?

J.-M. J. : Pour bâtir une maison, vous devez d’abord établir un plan d’ensemble. C’est ce que les équipes du think tank The Shift Project (Le projet de transition), que je préside, ont essayé de faire en proposant un programme pour décarboner, secteur par secteur, l’économie française. Prenons, par exemple, les transports, un secteur extrêmement dépendant du pétrole. Aujourd’hui, la France dispose d’un parc d’environ 40 millions de voitures particulières, essentiellement à moteur thermique, utilisées la plupart du temps pour transporter une personne. Demain, ce parc devra compter beaucoup moins de véhicules, qui seront moins lourds et électriques, et plus de vélos, eux aussi électriques, dont des vélos cargos pour faire de la distribution urbaine. Il faut aussi multiplier par deux le réseau ferré et développer les camions et bus électrifiés. Et réduire drastiquement le nombre d’avions, le secteur aérien étant celui qui résistera, de toute façon, le moins bien à la fin du pétrole.

Ces solutions paraissent de bon sens. Pourquoi a-t-on tant de mal à les appliquer ?

J.-M. J. : Pour tout un tas de raisons enchevêtrées. L’un d’elle, c’est l’emploi. Si l’on supprime des lignes aériennes, les pilotes, les hôtesses et stewards, le personnel au sol rouspètent et, en démocratie, on a plus tendance à se préoccuper de ceux qui perdent aujourd’hui que de ceux qui gagneront demain. De manière plus profonde, notre système est conservateur car il a du mal à penser et à promouvoir des évolutions rapides, sauf cas d’extrême nécessité comme cela a été le cas aux États-Unis ou en Grande-Bretagne pendant la Seconde guerre mondiale.
Jusqu’à présent, la situation paraît encore assez confortable et l’on veut croire que les difficultés finiront par passer. Nous ne nous sommes pas vraiment mis dans le crâne que le monde est confronté non pas à une crise mais au début d’une mutation profonde, inéluctable et irréversible.
(...)

Pouvons-nous encore nous sauver de la catastrophe annoncée ?

J.-M. J. : Si être sauvés signifie remettre les choses en l’état, cela n’arrivera jamais. Le surplus de CO2 que nous avons mis dans l’atmosphère va rester pour partie pour plus de 10 000 ans, et une partie de la dérive climatique va se poursuivre quand bien même nous parviendrions à stopper totalement les émissions.
Personne ne peut prédire exactement ce qui va se passer, car nous sommes en train de vivre, grandeur nature, une expérience inédite. Est-ce que l’humanité va continuer à céder au désir du toujours plus ou, au contraire, va-t-elle coopérer pour se modérer ? Je l’ignore. Je sais juste que moins on se modère volontairement, plus les restrictions involontaires prendront le pas. Une partie des conséquences ne sont déjà plus évitables et les « solutions » doivent aussi permettre de s’en accommoder au mieux.