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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Julos Beaucarne, un rebelle au cœur large
Article mis en ligne le 8 octobre 2021

Peut-être que le nom de mon site a quelque chose à voir avec Julos. En tout cas, l’arc en ciel était un peu sa marque de fabrique, symbole de sa philosophie de vie.
Le poète est parti, à l’âge de 85 ans, sur la pointe des pieds.
Souvenir mémorable de son passage à Huy, au Mont Falise, quand il s’est moqué gentiment de Gabriel Ringlet, en évoquant , en Wallon, l’archange Gabriel...

Coup de coeur pour cet article de Monique Verdussen, publié dans La Libre le 19 septembre dernier et que je vous le propose ici.

Homme aux talents multiples, il avait fait rayonner la langue française.

Il se disait, avant tout, poète.

"C’est ce qui est inscrit sur ma carte d’identité", revendiquait-il, presque étonné qu’on puisse lui poser la question. Poète mais aussi chanteur, compositeur, instrumentiste, comédien au théâtre et au cinéma, sculpteur, écrivain… Julos Beaucarne était l’un des derniers grands chantres d’une langue française qu’il faisait rayonner à travers le monde. Il est décédé samedi 18 septembre, à l’âge de 85 ans.

Poète et engagé pour toutes les causes à ses yeux justes que s’entêtent si souvent à ignorer le cynisme des humains et l’apathie des foules. Désarmant de tendresse et de fantaisie, Julos Beaucarne avait la colère cinglante et la révolte provocatrice face aux violences, intolérances et autres vilenies effervescentes sous toutes latitudes. Assurant qu’il avait le contraire du rire dans la peau, il n’en gardait pas moins un humour subtil et cette douceur en creux de voix qui sait le poids du murmure. Et l’intensité du silence. Mais il se faisait ample et grave lorsque l’indignait le mépris de la vulnérabilité des êtres ou de la nature. Écologiste et féministe avant le dictionnaire, épris de liberté et d’authenticité, il n’était jamais d’une seule couleur et avait jeté son dévolu sur celles de l’arc-en-ciel. Julos Beaucarne s’en est allé rejoindre les galaxies, son terroir où, depuis longtemps, s’enracinaient ses rêves et ses curiosités.

Homme de Tourinnes

Tout le monde l’appelait Julos et le facteur n’éprouvait aucune hésitation à le joindre sous ce seul prénom inscrit sur une enveloppe adressée à Tourinnes-la-Grosse. Il y habitait une surprenante maison où s’empilaient à profusion, autour d’une longue table en bois et d’un ordinateur, des photos, des livres, des marionnettes, un râteau, un baromètre, des boules colorées, des pagodes en réduction, des objets non identifiables, des présences diffuses… qui lui faisaient un havre. C’est là, dans ce petit royaume hétéroclite, qu’était ancré le grand chagrin de sa vie : la mort de sa femme, Loulou, assassinée à coups de couteau en 1975 - "… sul coup d’une heure/En février de la chandeleur…" - par l’homme chargé, pour parer les absences des tournées, de veiller sur leurs deux fils, Christophe, 10 ans, et Boris, 5 ans à peine. "Je l’ai gardée en moi dans mes pensées et dans mes écrits. Quand on remue, cela fait toujours très mal", confiait-il récemment, même s’il avait depuis cette épreuve particulièrement tragique trouvé des complicités en d’autres amours, notamment auprès de Barbara d’Alcantara, son interprète favorite. La lettre magnifique que, refusant la haine, il écrivit à l’assassin au soir de la mort de son aimée - "C’est la société qui est malade, il nous la faut remettre d’aplomb et d’équerre par l’amour, l’amitié et la persuasion…" - émut un large public qui y réagit de partout. Et durant de longues années.

Julos n’est pas né à Écaussinnes comme on l’assure souvent et où sont implantés ses souvenirs d’enfance, mais à Bruxelles au square Marie-Louise le 7 juin 1936. Ses grands-parents étaient fermiers. Son père vendait des machines agricoles. Sa mère était là. Son professeur de quatrième latine et la lecture d’Henri Pourrat éveillèrent ses émotions littéraires et son goût des mots. En fin ciseleur du bon français que ses parents avaient veillé à lui apprendre ainsi qu’à son frère et à sa sœur, mais sans renier le wallon de ses origines campagnardes, il écrivit tôt de courts textes que la mélodie accompagnait conjointement. Une panne de voiture en Provence sollicita ses 25 ans fauchés à chanter les plus accomplis d’entre eux sur les places de villages, ne demandant d’autre rétribution que le prix du plaisir pris. La réparation soldée, Julos était né. Il ne cesserait plus d’écrire. Chez lui ou ailleurs. Au réveil et au coucher. En train, en avion, assis en bord de mer ou rêvant sous les nuages. La route allait être longue où, interprétant ses compositions, il chanterait aussi les Elskamp, Hugo, Verlaine, Apollinaire, Desbordes-Valmore, Vigneault, Liliane Wouters… et, parfois, des comptines populaires qu’il affectionnait. Il traverserait les continents, ne s’amusant jamais autant que lorsque sa "P’tite Gayole" était, comme telle, reprise en chœur à Paris, Montréal, Kinshasa ou Varsovie…, bissée dans des temples bouddhistes. Il fut à deux reprises couronné par l’Académie Charles Cros dont l’une par un Prix d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. Il se montrerait très touché d’avoir été invité à chanter lors de l’enterrement du roi Baudouin, s’amuserait sans prétention autre que la joie de la reconnaissance d’être promu chevalier et avouerait une candide fierté à entrer, de son vivant, dans Le Petit Robert des noms propres.

Aucun dogme

Cheveux au vent, pulls ensoleillés, guitare en bandoulière, il semblait toujours émerger d’un temps où jongleurs et troubadours semaient l’émoi à travers la France et, bientôt, très au loin. Il chantait la paix, l’amour, l’amitié et inventait les mots pour en dire. Il composait des virelangues, ces phrases rétives à la prononciation spontanée. Il sollicitait les légendes anciennes, détournait les objets en autant de créations inédites, puisait son inspiration dans des promenades où, à pied et souvent à vélo, dont il était féru, il goûtait le bonheur des blés blonds ou des arbres verts. Forgé à la sagesse des paysans d’autrefois, il vibrait à l’aujourd’hui et questionnait l’infini sans s’attacher à aucun dogme. "Je ne veux pas me laisser embrigader par un Dieu, quel qu’il soit, au nom duquel on a écrasé et écrase encore tellement de peuples." Avec ses vérités glanées au hasard des routes, ses chaleurs tendues à bras ouverts, son humour léger ou irrévérencieux jusqu’à la gauloiserie, ses presque riens frissonnant de sensualité, voire d’érotisme délicat, Julos était sans artifice et hors mode. Naturel, savoureux, intuitif. Passionné et libre. Des arcs-en-ciel où on le devinera désormais, on pourra, pour peu que l’on y soit attentif, voir surgir la maxime qui a orienté son destin : "Il faut s’aimer à tort et à travers."

Monique Verdussen, Publié le 19-09-2021