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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Qu’en pensent ces élèves musulmanes non voilées ?
Article mis en ligne le 20 novembre 2009
dernière modification le 13 août 2010

A 16 ans, elles sont contre le voile non choisi et donc contre le port du voile à l’école. Le pire serait que le voile soit l’objet d’une obligation ou perverti en un objet de mode adolescente.

Lundi 21 septembre. Métro Gare centrale. Manchette du "Métro" : "Bannir le voile avant 16 ans". Sur le quai, plusieurs adolescentes voilées semblent arrêtées sur cette Une. Je les vois presque tous les matins, mais c’est la première fois que je les vois toutes avec le "Métro "en main. Je me demande ce qu’elles sont en train de penser. Le titre ne précise pas que c’est à l’école que le voile serait banni avant 16 ans. Le métro arrive. Une fois monté, même question à propos des filles que je suppose d’origine arabe, non voilées, qui lisent cette Une : que pensent-elles du voile à l’école ?

Ce qu’elles en pensent, ces jeunes adolescentes, la presse ne m’en a rien appris. Je sais ce que les partis politiques en pensent, ce que des universitaires - voilées ou non - en pensent, ce que des associations laïques, féministes ou religieuses en pensent, ce que des directeurs d’école et des préfets en pensent, mais rien sur l’avis de ces filles.

Le métro m’amène à destination : à Anderlecht, où j’enseigne le travail social, dans l’enseignement technique secondaire, réseau libre. Dans la plupart de mes classes, majoritairement composées de filles, il y a quelques élèves d’origine maghrébine, pour la plupart musulmanes, plus ou moins pratiquantes, selon la famille, l’âge, la foi, etc. Certaines font le ramadan, d’autres non. Aucune ne porte le voile : un règlement de l’école interdit de porter tout signe extérieur manifeste en rapport avec la religion. Depuis que j’enseigne, la question du voile revient chaque année dans les discussions et débats que nous avons en classe. J’ai donc, à chaque fois, l’occasion d’entendre cette parole profane, d’adolescentes musulmanes, non voilées. Cette parole que je ne retrouve que très rarement dans les médias. Voici ce que j’ai appris de cette parole :

1. La question du voile à l’école relève des agendas politiques et religieux. La très grande majorité des élèves musulmanes ne mène aucun combat idéologique ou religieux, à l’école ou dehors, à propos du voile. Le paradoxe est donc que pour éviter toute incursion de la religion dans l’école, on y impose un agenda politique et religieux. La réaction la plus courante de mes élèves est donc la méfiance, autant vis-à-vis des groupes religieux qui revendiquent le port du voile à l’école, que des partis politiques qui proposent de légiférer sur la question. Subitement, ces jeunes filles se trouvent implicitement sommées de répondre à la question "Etes-vous pour ou contre le voile à l’école", et elles ne savent que répondre.

2. Elles ne savent que répondre, parce que le débat sur la question est construit autour de concepts qui leur paraissent totalement étrangers et sans prises avec leur vécu. Bourdieu expliquait que le langage dominant détruit, en le discréditant, le discours politique spontané des dominés : il ne leur laisse que le silence ou le langage emprunté, qui ne peut rien transmettre du vrai, du réel, du "senti". Si l’enseignant veut lire avec sa classe un article sur la question, les élèves se trouvent face à des mots comme "multiculturalisme" , "déshumanisation" , "islamisme" , "pluralisme actif" , etc. Les élèves apprendront également l’étymologie de "hijab" , "niqab" , "burqa" , ou encore les origines du voile dans le Coran. Tout cela est intéressant à un niveau purement scolastique, mais peu utile pour favoriser l’expression d’une parole ancrée dans le vécu quotidien. A la fin de tels articles, les élèves retiennent surtout leur illégitimité culturelle à s’exprimer sur la question. Leur vécu et leurs arguments leur paraissent futiles.

3. Leurs arguments sont pourtant loin d’être futiles. La plupart me disent qu’elles porteront probablement un jour le voile, mais plus tard. Quand elles - et elles seules - le décideront. Ce sera un choix personnel. Non pas pour se soumettre à un mari, un frère ou un père, mais pour se soumettre à Dieu. Le voile est, pour elles, objet de maturité, de choix posé que l’on fait lorsqu’on est adulte, "installé" dans sa vie d’adulte, avec tout ce que cela peut comporter pour elles : famille, mari, enfants, boulot, maison, etc. La pire chose pour elles serait que le voile soit l’objet d’une obligation ou - "pire encore !" - perverti en un objet de mode adolescente. Voilà bien deux figures qui font l’unanimité contre elles : la fille qui porte le voile par obligation parentale, et qui parfois l’enlève au coin de la rue, dès que les parents ne peuvent plus la voir, et celle qui le porte comme objet de mode, accompagné de bijoux trop voyants, de maquillage, d’habits jugés trop sexy, etc. L’adolescence est une période de recherche de la cohérence, de l’intégrité : honte à ceux qui sont faux, c’est-à-dire à ceux qui ne sont pas "vrais", qui "se la jouent", qui "font genre", Zarma ! Comme on va se moquer du gosse de riches qui se la joue "racaille", on va se moquer de la fille qui se la joue "avec le voile", alors qu’elle n’en connaît pas la signification, qu’elle se donne juste un style. Dans chaque classe : des anecdotes à propos de filles voilées qui, une fois sorties de chez elles, enlèvent le voile, se maquillent chez une amie et mettent des habits plus sexy. Aucune élève n’a la moindre sympathie pour celles-là.

4. Du coup, elles sont fières, elles, de ne pas pervertir le voile d’une telle manière. Elles sont fières de pouvoir dire qu’elles ne se sentent pas encore prêtes, que le jour viendra peut-être, mais plus tard. Aucune n’est contre le voile. Elles sont contre le voile non choisi. Et pour cela, elles sont plutôt contre le port du voile à l’école. Si le voile était autorisé à l’école, on verrait apparaître, selon elles, toutes des petites "poufs" qui porteraient le voile pour "faire genre", pour plaire à leur petit-ami, parce que la famille fait pression, etc., et donc pour tout un ensemble de "mauvaises" raisons. A une période de construction de l’identité, la "pauvre fille" est celle qui n’a aucune personnalité, qui agit par obligation ou pour plaire. Et le voile en est l’anti-thèse : c’est l’expression d’une identité construite et posée. Et du coup, également, leur fierté de dire que leurs parents leur ont déconseillé de porter le voile à leur âge. Presque toutes les filles musulmanes que j’ai rencontrées m’ont expliqué en avoir parlé avec leurs parents, qui leur ont dit "Tu es encore trop jeune !" ou du moins "Réfléchis bien, prends ton temps" . Et elles sont fières de pouvoir dire qu’elles ont des parents compréhensifs et conscients des enjeux adolescents.

LLB 2009 - Mis en ligne le 06/10/2009