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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

"La conscience, ce n’est pas tout ou rien. C’est 50 nuances de gris"
(Pr Steven Laureys, lauréat du Prix Francqui)
Article mis en ligne le 18 juin 2017

Un chercheur, guidé par l’intelligence du coeur, ose se mettre à chercher sur le coma et la conscience. J’ai aimé cette vision des choses, qui est en passe de transformer un pan entier de la médecine.
On a jadis enfin reconnu que les enfants souffraient, et puis les animaux, et puis on s’est demandé ce qu’il en étaient des malades mentaux, et voilà que l’on se rend compte, grâce à l’esprit d’une grande ouverture du Dr Laureys, qu’entre la conscience et l’inconscience, il y a des degrés, des nuances...
J’ai aussi aimé lire le parcours de ce médecin, de ce chercheur. C’est pourquoi je vous en parle.
Voici des extraits d’un article de Laurence Dardenne paru dans La Libre du 13 juin 2017 (voir le lien en Post-scriptum)

Si vous deviez expliquer en quelques phrases l’objet de vos recherches à qui n’a jamais entendu parler du Pr Steven Laureys, que diriez-vous ?

Je dirais d’abord que c’est un travail d’équipe.

"Je dirais d’abord que c’est un travail d’équipe..."
© D.R.

Nous essayons d’aider des patients qui ont des blessures au cerveau, qui ont été dans le coma. Il y a, pour nous, un vrai défi qui consiste à savoir s’ils sont, ou non, conscients, alors qu’ils ne peuvent pas communiquer. Savoir dans quelle mesure ils vont récupérer et ce que l’on peut faire pour eux d’un point de vue thérapeutique. En outre, il y a non seulement les conséquences éthiques et sociétales, mais aussi, d’un point de vue scientifique, la question de savoir ce qu’est la conscience. L’expliquer, la comprendre : c’est une des grandes questions qui persiste comme l’origine de la matière. En quelques mots, voilà comment résumer l’immense défi que tente de relever toute l’équipe du Coma science group, Giga, )/CHU.

Comment vous est venue cette passion pour la recherche sur le coma et les troubles de la conscience ?

Coma science group, Giga consciousness, ULG/CHU

Tout d’abord, par frustration. Quand on se trouve face à ses patients, d’un point de vue clinique, que ce soit en soins intensifs ou après, en rééducation, on a cette sorte d’arrogance de se dire qu’ils ne sont pas conscients. Mais comment mesure-t-on cela ? Comment faire en clinique lorsque l’on se trouve face à quelqu’un qui a des blessures énormes au cerveau, que l’on dit comateux ? Ou après, soi-disant dans un état "végétatif", un terme peu respectueux que je déteste. D’ailleurs, maintenant, on parle plutôt d’un "syndrome d’éveil non répondant". Les patients se réveillent en effet les yeux ouverts mais sont non répondants car il n’y a pas de réponse orientée. Par cette frustration est venu chez moi ce besoin de faire des mesures avec ces nouvelles technologies qui permettent de voir ce qui se passe dans le cerveau. Historiquement avec le PET scan qui utilise la radioactivité, maintenant avec l’IRM, des mesures de l’électricité créées par le cerveau... Nous allons donc confronter et combiner tous ces différents tests pour essayer de réduire l’incertitude sur le diagnostic et le pronostic. Et ainsi essayer d’aider ces patients. Je pense que la faute historique a été de considérer que la conscience, c’était tout ou rien. En réalité, c’est 50 nuances de gris.

Qu’est-ce que vos recherches ont d’ores et déjà permis de découvrir ?

Nous avons découvert que pas moins de 40 % des patients se trouvant après un coma dit "végétatif" sont en réalité conscients, même si, pour certains à un degré minimal. Si elles sont incapables de répondre, ces personnes continuent néanmoins à ressentir des émotions et à souffrir. Notre équipe a aussi identifié dans le cerveau humain, non pas un, mais deux réseaux de conscience. Il existe en effet un réseau externe de la conscience, celle de l’environnement, tout ce que l’on entend, qui passe par nos sens, mais aussi un réseau interne. Une autre partie de la conscience passe par le monde intérieur ; cette petite voix qui vous parle et qui dépend d’un réseau intérieur. Cette connaissance, nous allons la traduire vers nos hôpitaux pour essayer d’avancer dans ce domaine fascinant et qui a de nombreuses facettes.

Au début des années 90, vous avez qualifié de "comateuse", la recherche sur le coma. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Je pense en effet que ces patients dans le coma étaient négligés par la société et la médecine. Grâce à ces travaux, nous avons pu un peu réanimer cette recherche. On voit que les livres de médecine ont été réécrits et qu’il y a maintenant beaucoup plus d’intérêt pour cette problématique.

Et maintenant, que rêvez-vous de découvrir ?

En recherche, on ne sait pas ce que l’on va trouver. Et c’est aussi cela, la beauté de la recherche. Je ne sais pas ce que le futur nous réserve, et c’est très bien comme ça. Cela dit, nous rêvons de comprendre comment la matière devient pensées, émotions, perceptions, c’est-à-dire finalement comprendre la conscience. Mais là, je crains qu’il y ait encore quelques Prix Nobel devant nous… Même si c’est à cela que l’on essaie de travailler tous les jours. Pour l’instant, nous avons 22 doctorants qui se consacrent à cette recherche. La science n’a pas cette ambition de répondre à tout mais d’y aller étape par étape. Et quand on trouve quelque chose, il y a encore plus de questions qui se posent. Je ne sais pas aujourd’hui ce qui va se présenter dans 5 ans, dans 10 ans… On dépend aussi en grande partie des technologies.

Combiner recherche, expertises scientifique et clinique, c’est important pour vous ?

Oui, c’est un défi. C’est difficile car les hôpitaux ont beaucoup de pression financière. Et il est triste de constater que cela n’est pas apprécié à sa juste valeur. Combiner expertises scientifique et clinique est essentiel car je suis persuadé que l’on est meilleur médecin quand on mène aussi une réflexion scientifique et vice et versa, on se pose les bonnes questions quand on voit aussi des patients.

En tant que scientifique, vous estimez aussi avoir un rôle social à jouer. Quelle est votre vision du scientifique ?

Il faut que les scientifiques quittent leur tour d’ivoire pour rejoindre l’hôpital ; c’est là également que doivent se trouver les laboratoires de recherche. Je suis aussi un peu attristé que dans tous les médias, la section "sciences" reçoive beaucoup, beaucoup trop peu d’attention. Pour moi, écouter ou lire un confrère en astrophysique, un climatologue, c’est incroyablement fascinant. Il faudrait aussi que les politiciens écoutent davantage les chercheurs. Il est regrettable de voir que quelqu’un qui cherche des solutions pour contrer le réchauffement climatique ou guérir des maladies reçoive très peu d’appréciation pour l’importance de son travail. J’ai plusieurs ingénieurs, informaticiens ou mathématiciens dans l’équipe, mais j’ai du mal à les retenir car ils gagnent plus s’ils vont travailler dans des banques. D’un point de vue éthique, cela peut être questionnable.

Tout financement en Belgique et en Europe est basé sur des projets qu’il faut écrire avec des hypothèses où l’on fait semblant de savoir exactement ce que l’on va trouver. Or, ce n’est pas toute la recherche. Les grandes découvertes ne sont pas planifiées d’avance. Et donc, il faut permettre aux équipes de travailler davantage, prévoir des financements et leur faire confiance pour pouvoir avancer.

(...)

Avez-vous encore du temps pour d’autres passions ?

Ma plus grande passion, c’est mon travail, ce qui est formidable parce que je peux être au jardin, à la plage et travailler tout en réfléchissant à un problème. (...) J’essaie d’un peu dessiner et peindre, je pratique la course, parce que je suis convaincu que le sport est bénéfique pour la santé physique et mentale, ainsi que la méditation. J’ai écrit un livre, "Un si brillant cerveau. Les états limites de la conscience" . Et un deuxième ouvrage est en cours d’écriture.