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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

"J’suis pas Charlie, mais j’suis pas con"
Reportage dans une salle de classe
Article mis en ligne le 16 janvier 2015

REPORTAGE d’ANNICK HOVINE Publié dans La Libre le mercredi 14 janvier 2015

Le dernier cours du mercredi, c’est la "Chouette heure" au lycée Dachsbeck, au cœur de Bruxelles, à deux pas du Sablon et des Marolles. Objectif : permettre aux élèves de s’exprimer. Une initiative qui s’inscrit dans le projet pédagogique de cette école secondaire de la ville de Bruxelles qui scolarise une population de 700 élèves. "Aujourd’hui, les profs ont décidé d’aborder les attentats de Paris. On a préféré attendre une semaine, pour évoquer les choses avec le recul nécessaire", indique Pascal Debroux, proviseur du lycée. Faouzia Hariche, échevine de l’Instruction publique à Bruxelles, explique : "Il n’y a eu aucune consigne précise de notre part, sauf une : qu’on ne reste pas muet". Certaines écoles ont observé une minute de silence, d’autres ont proposé des "Je suis Charlie". Ici, c’est 50 minutes de réflexion.
Professeur de sciences sociales, Myriam Deguide attend que ses 24 élèves de 5e sciences humains/langues posent leur sac. Sur le bureau, une pile de photocopies de trois "Une" de "Charlie Hebdo" (dont celle avec la caricature du prophète signée Luz et surmontée du titre "Charia Hebdo").

La prof distribue les documents : "Prenez quelques minutes pour regarder avant de dire tout ce qui vous vient en tête". Les adolescents, 17 ans en moyenne, jouent le jeu en silence.

"Qui a envie d’intervenir ?" Silence et petits rires. Avant de se lancer. Cela évoque, en vrac : la religion musulmane ; le rire ; la satire ; le prophète… Yassine proteste : "Ce n’est pas parce qu’il a une barbe et un turban que c’est le prophète". Sauf qu’un macaron précise : Mahomet, rédacteur en chef de Charia Hebdo, lui fait-on remarquer. "Ah oui…".

De qui se moque-t-on ?

Mais de qui se moque-t-on dans ce dessin, de la religion musulmane, du prophète ou d’autre chose ?, insiste le professeur.
Senih rétorque : "Le prophète fait partie de l’islam, c’est un tout". Oui, mais ici, "Charlie Hebdo" critique autre chose : la punition traditionnelle et les règles extrêmes de la charia illustrées par les "100 coups de fouet si vous n’êtes pas morts de rire".

"Leurs caricatures visent la religion", insiste l’ado. Qui conteste poliment la sélection du professeur. "On a choisi cette caricature qui, pour une fois, est juste. Les autres, c’est beaucoup plus grave pour moi. Je les ai dans une farde". Senih l’extrait de son sac à dos. "Ne les sortez pas maintenant : on en parlera à un prochain cours." L’élève n’a pas l’air content mais obtempère.
"Je n’ai pas choisi la plus gentille mais celle qui est en lien avec l’actualité", explique l’enseignante. "Qui est vraiment mort de rire ? Les journalistes et les caricaturistes".
Mais ça, ce n’est pas l’islam, renvoient Senih et quelques autres. Madame Deguide leur demande de mettre des mots sur ce qui les touche. "Je vois que vous êtes en colère". Abdellila prend la balle au bond. "Charlie Hebdo a mis la minorité en avant comme si c’était la majorité. Cela a véhiculé une mauvaise image de l’islam, même si c’est pour faire rire".

Le profane et le sacré

L’enseignante enchaîne sur la liberté d’expression ; les identités sociales ; les concepts de sacré ("ce à quoi on ne peut pas toucher") et de profane, qui ne se cantonnent pas au religieux ; les valeurs (la liberté, l’égalité…) qui ont été directement visées par les attaques terroristes à Paris.

La sonnerie retentit. Le cours se finit trop tôt - il y avait encore tant à (faire) dire. "On n’a pas assez parlé de "Charlie Hebdo". C’est pas un modèle, parce qu’il se moque de tout le monde : juifs, musulmans, chrétiens. Ils choquent trop pour rien. Je n’aime pas Charlie", dit Rita. "Moi non plus, je ne suis pas Charlie : représenter le prophète, c’est ne pas respecter plus d’un milliard de fidèles. Pour moi, la liberté d’expression s’arrête là", lance un autre .

Faut-il comprendre qu’il fallait s’attendre à cet attentat contre l’hebdomadaire satirique ? Ils se récrient en chœur. "Et madame, non ! On n’aime pas Charlie, mais on n’est pas cons. Ceux qui ont fait ça, c’est des malades, c’est des terroristes. On ne cautionne pas. Nous, on a un cerveau, on n’est pas des débiles profonds. On est touché au profond de nous-mêmes par ces attentats".