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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

« On m’oblige à jouer un jeu dans lequel je perds ».
Article mis en ligne le 18 décembre 2014
dernière modification le 22 décembre 2014

Déscolariser la société
François Dubet
(extraits)

En publiant Faits d’école, le sociologue François Dubet revient sur quinze ans d’enquêtes et d’interventions publiques autour du système scolaire, et plaide pour un véritable débat autour des objectifs à lui donner et des moyens pour y parvenir.

Le système est cruel. Beaucoup d’élèves disent « on m’oblige à jouer un jeu dans lequel je perds ». À l’image de cette élève qui, à la fin du film de Laurent Cantet, Entre les murs (2008), dit au professeur : « Cette année, j’ai rien appris, je ne comprends pas ce qui se passe. » Lorsque mes livres ont paru, une réaction commune était de dire que les gamins n’étaient pas adaptés à l’école parce qu’ils venaient de milieux populaires. Selon moi, ça allait bien au-delà.

Vous voulez dire qu’au cours des années 1980-1990, on a changé de système ?

Oui. On a ouvert les portes du lycée non plus à 12 ou 15 % mais à 70 ou 80 % d’une classe d’âge. On a donc changé d’école.

La massification a transformé l’école républicaine en école méritocratique, en disant aux élèves : vous deviendrez ce que vous avez fait à l’école. Cela change complètement la règle du jeu, qui se tend et devient beaucoup plus cruelle. Car l’échec scolaire ne signifie plus seulement « je ne suis pas doué pour l’école », mais « je vais rater ma vie ». D’où des comportements utilitaristes chez les élèves, qui passent leur temps à calculer ce qu’il est rentable de faire ou pas : ils ne travaillent pas la physique par amour du savoir mais pour aller en terminale scientifique.

Face à cela, une tendance réactionnaire s’est affirmée dans l’école, qui estime qu’il faudrait retrouver la culture d’avant, les élèves d’avant, les professeurs d’avant. Ce qui me paraît tout à fait raisonnable, à condition d’exclure 70 % des élèves… Et pourquoi pas de rétablir un examen d’entrée en sixième !

Comment faire pour rendre « l’égalité des chances » moins injuste ?

On peut pondérer ce principe, en faisant par exemple valoir ce que John Rawls appelle le principe de différence (1) : il faut faire en sorte que le déroulement de la compétition méritocratique ne dégrade jamais le sort des vaincus. D’où ma défense du collège unique, qui ne doit pas servir à sélectionner des enfants, mais à les amener tous au même niveau.

Ensuite, si les inégalités scolaires ne sont pas parfaitement justes, il est injuste qu’elles déterminent à leur tour les inégalités sociales. L’école ne devrait pas être la seule institution susceptible de distribuer les individus dans la société. Il y a des moyens de détendre un peu le jeu, comme par exemple le développement d’une véritable formation professionnelle, pour que les enfants qui échouent à l’école puissent se dire que leur vie ne s’arrête pas là.

Enfin, je m’inquiète actuellement du fait que l’école française n’a pas, ou plus, de projet éducatif. Les seules questions sont désormais : « les élèves ont-ils un bon niveau ? » et « la sélection est-elle juste ? » Ce que l’école fabrique comme individu, la totalité de l’échiquier politique s’en désintéresse. Pourtant, la seule manière d’éviter que l’école devienne complètement un marché serait de fixer à l’école des objectifs éducatifs : tout élève qui sort de l’école doit par exemple avoir le sentiment d’avoir de la valeur, ou être capable de s’exprimer en public sans avoir honte… En France, ces propositions sont marginales et suscitent de formidables résistances.

La sociologie de l’éducation a aujourd’hui cumulé beaucoup de résultats. Quelles questions devrait-elle chercher à élucider dans les années à venir ?

Après avoir analysé ce que la société fait à l’école (P. Bourdieu, R. Boudon), puis ce que l’école fait aux élèves (M. Duru-Bellat, Agnès Van Zanten, moi-même), la sociologie devrait se demander ce que l’école fait à la société, c’est-à-dire analyser les conséquences de l’organisation des systèmes éducatifs sur la vie sociale.

Ma conviction, c’est qu’il faut déscolariser la société, c’est-à-dire sortir de l’idée que l’école doit fabriquer une « bonne » société. L’école doit fabriquer une bonne école. Si on veut réduire les inégalités, réduisons les inégalités entre cadres et ouvriers. Ce sera plus efficace que de permettre à des enfants d’ouvriers de devenir cadres !

À la fin de votre ouvrage, vous dites que les enseignants « ne croient pas les sociologues », et qu’ils ont raison. Pourquoi ?

Pour enseigner – je suis enseignant –, il faut vivre avec des fictions. Il faut être convaincu, au moment où l’on fait son cours, que ce que l’on va dire va transformer les gens, que tout le monde peut apprendre, que le savoir a une valeur en soi. Sinon on ne le fait pas. Or la sociologie a pour effet de refroidir ces illusions : « ne vous racontez pas d’histoire, tout cela est déterminé »…

Donc je crois qu’il ne faut pas trop écouter les sociologues. Il faut entendre ce qu’ils disent, mais sans que cette connaissance détruise les illusions nécessaires à l’action. Les enseignants ont raison de résister, y compris à mes propres discours.

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