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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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Michel Simonis

Lettre d’une étudiante juive de l’ULB
Article mis en ligne le 5 octobre 2025

"J’ai retiré mon étoile juive que je portais en pendentif, par peur d’être associée à Israël qui emploie cette étoile comme symbole étatique et la met sur les uniformes de l’armée, sur les chars d’assaut et sur les bombes.

En tant qu’étudiante à l’ULB, je tiens à partager mon inquiétude à propos du discours sur l’antisémitisme sur le campus universitaire."

Contribution externe. Publiée dans La Libre le 04-10-2025.

Je préfère rester anonyme, par crainte de représailles politiques ou de réactions de ma communauté face aux propos tenus ici. (Personne connue de la rédaction de la Libre).

En tant qu’étudiante à l’ULB, je tiens à partager mon inquiétude à propos du discours sur l’antisémitisme sur le campus universitaire. En particulier, je m’oppose à l’amalgame entre antisémitisme et antisionisme, qui érige une équivalence entre le judaïsme et le sionisme. Cette équivalence est une essentialisation antisémite.

Je réagis ainsi aux propos du ministre israélien de la Diaspora juive sur "l’incapacité" de la Belgique à protéger sa communauté juive, à ceux d’Alain Destexhe qualifiant l’ULB de "foyer d’intolérance", ainsi qu’à l’article de la présidente de l’UEJB décrivant la difficulté de vivre sa judéité sur un campus belge.

Dans le contexte d’un génocide mené à Gaza (largement documenté par les Palestiniens et déclaré ensuite par l’International Association of Genocide Scholars [1], l’ONU, Amnesty et Human Rights Watch), de la famine, des massacres quotidiens, des projets de colonisation massive dans la Cisjordanie et des 77 années de colonisation, je me dois de m’opposer à ces crimes contre l’humanité, prétendus menés en mon nom.

Il faut bien sûr reconnaître que l’antisémitisme existe sur le campus de l’ULB, en Belgique ainsi que dans le reste du monde. Les exemples les plus évidents sont ces croix gammées peintes sur les murs ou le négationnisme de la Shoah. Je peux témoigner de discussions sur la véracité des statistiques des morts ("Est-ce que c’était vraiment 6 millions de Juifs ?"), et un rejet du sujet ("Pourquoi en parler quand c’était il y a 80 ans ?").

Vous devez savoir que certains étudiants craignent de s’afficher ouvertement juifs. J’ai retiré mon étoile juive que je portais en pendentif, par peur d’être associée à Israël qui emploie cette étoile comme symbole étatique, après l’avoir mise sur les uniformes de l’armée, sur les chars d’assaut et sur les bombes. L’amalgame entre "juif" et "sioniste" ne permet pas de vivre sereinement mon identité juive, sur les campus et dans la vie en général. Parler de l’antisémitisme sans se rendre compte de la grande diversité de Juifs, y compris sur le campus, exclut des perspectives importantes qui mettent en contexte le ressenti des Juifs de l’ULB.

La confusion entre l’antisémitisme et l’antisionisme nuit à la lutte contre l’antisémitisme.

Dire que tout ce qui est antisioniste est antisémite réduit la puissance et la pertinence de la définition de l’antisémitisme. Le judaïsme est une religion, une culture, une identité ethnique ; il s’échappe à une définition fixe, mais il est beaucoup plus large que le sionisme. L’antisémitisme est la haine des Juifs, il existe à travers le spectre politique. Le sionisme d’aujourd’hui est une idéologie née en Europe, qui vise à établir, maintenir et élargir un État juif sur les terres palestiniennes. L’antisionisme est une opposition à ce projet nationaliste qui, depuis presque un siècle, recourt au nettoyage ethnique et à la colonisation.

Israël se définit comme l’État juif. En disant qu’il représente tous les Juifs, il s’associe à nous. Quand l’État juif use de la violence comme on le voit aujourd’hui, le résultat est que tous les Juifs sont tenus responsables, pour qui croit la propagande israélienne. En commettant un génocide à Gaza après 77 ans de colonisation de la Palestine, Israël se cache derrière son identité juive pour justifier la terreur infligée aux Palestiniens. Le résultat est que la diaspora juive, partout dans le monde, est tenue pour responsable de cette politique coloniale et génocidaire.

Les accusations d’antisémitisme lorsqu’on critique la politique d’Israël nuisent à la vraie lutte contre l’antisémitisme. Si tout ce qui est "antisioniste" est "antisémite", si tout ce qui est "antisioniste" est "anti-juif", alors on dresse une équivalence entre le fait d’être sioniste et le fait d’être Juif. Fini la distinction entre l’antisémitisme réel et la critique d’Israël. La confusion est volontaire, afin de protéger Israël de toute critique possible. Résultat des courses : l’antisémitisme devient un concept dilué qui ne sert plus à protéger les Juifs, mais est devenu une arme rhétorique pour protéger Israël et sa politique.

Les effets de la haine antimusulmane et l’islamophobie sur notre campus

Dans les discussions sur l’antisémitisme, on oublie que nos collègues musulmans subissent, eux, l’islamophobie de manière violente, depuis bien avant le 7 octobre et de façon décuplée depuis. À cause de la campagne contre Rima Hassan, des étudiants de la promotion de droit ont été directement mis en danger par Alain Destexhe, qui a diffusé une liste de prénoms des étudiants "arabo-musulmans". L’ULB, cette fois-ci, a pris ses responsabilités et a porté plainte contre Destexhe. Reconnaissons que la défense des étudiants musulmans sur le campus est rare. En comparaison avec le discours sur l’antisémitisme, j’estime que le danger auquel les étudiants musulmans font face n’est pas assez reconnu par l’université, ni par les médias ou la société belge en général.

Nous discutons rarement du ressenti des étudiants musulmans dont les familles sont impactées, directement ou indirectement, par le génocide à Gaza, la colonisation dans l’ensemble de la Palestine, l’invasion du Liban et de la Syrie, les bombardements et la famine au Yémen ou au Soudan. Au lieu de créer un vrai dialogue entre les Juifs et les musulmans, le récit médiatique oppose des Juifs victimisés et des musulmans diabolisés. Or, depuis le 7 octobre, les expressions d’antisémitisme et d’islamophobie ont augmenté. La lutte contre la décolonisation comprend la lutte contre l’antisémitisme qui est, comme toute forme de racisme, basée sur la haine de l’autre et la suprématie blanche. C’est seulement en déconstruisant le racisme à tous les niveaux que l’on peut déconstruire l’antisémitisme ou la haine anti-juive.


https://www.btselem.org/press_releases/20250728_our_genocide