Bandeau
LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Autochtones de tous les pays, unissons-nous !

Retour sur "Réveiller les esprits de la terre" (éd. Dehors, 2021) que j’ai déjà évoqué en juillet dernier

Article mis en ligne le 18 janvier 2022
dernière modification le 12 août 2023

Dans "Réveiller les esprits de la Terre" [1], l’anthropologue Barbara Glowczewski appelle à un "compagnonnage des peuples en lutte" pour "résister ensemble aux alliances économiques et financières qui détruisent la planète".

Le 24 juin 2018, alors que ses habitantes et habitants étaient encore sous le choc d’une violente offensive militaire survenue quelques semaines plus tôt, la Zad de Notre-Dame-des-Landes fut le théâtre d’un curieux événement, insolite dans ce bocage de l’Ouest français. Nidala Barker, activiste aborigène venu tout droit d’Australie, y pratiqua un rite aborigène de fumigation auquel se prêta une quarantaine de personnes.

Comment deux mondes a priori si différents ont-ils pu se rencontrer ?

C’est l’objet de l’enquête de l’anthropologue française Barbara Glowczewski, mère de Nidala Barker, dans son dernier ouvrage, Réveiller les esprits de la terre (éd. Dehors, 2021). L’autrice brosse un panorama des luttes menées par les Aborigènes, les Amérindiens et descendants de marrons en Guyane française et les zadistes à Notre-Dame-des-Landes. Et en appelle à l’union transnationale des combats autochtones, ceux menés par et pour la terre.

Barbara Glowczewski consacre de longues pages aux Aborigènes, en particulier ceux d’Australie-Occidentale, qu’elle fréquente assidûment depuis une quarantaine d’années. (Voir l’article 1018, "Rêves en colère avec les Aborigènes australiens" )

Contrairement aux monothéismes, « le vécu chamanique valorise la multiplicité du vivant »

l’anthropologue note que les religions monothéistes – en particulier le christianisme – ont tendance, par leur réification ontologique d’un monde dont l’humain est placé à la tête, à se désaffilier d’un territoire et à soutenir idéologiquement l’exploitation à outrance de ses "ressources". Comme le rapporte l’autrice au terme d’un séjour sur le terrain, cela est particulièrement notable avec les églises évangélistes en Amérique latine, au Suriname et en Guyane. "[Leurs] intérêts économiques sont souvent liés au grand capital des multinationales" et elles arrivent dans les communautés amérindiennes et marronnes "avec les armes de la guerre néolibérale" pour s’approprier l’or, les forêts et les terres agricoles.

Face à pareille progression du front capitaliste partout sur la planète et plus spécifiquement chez les communautés autochtones – qui constituent 5 % de la population mondiale mais protègent 80 % de la biodiversité planétaire, rappelle Glowczewski –, le recours aux pratiques chamaniques traditionnelles s’intensifie, voire gagne de nouveaux adeptes, car elles revendiquent une éthique du soin envers les autres Terrestres. Contrairement aux monothéismes, "le vécu chamanique valorise la multiplicité du vivant et de multiples niveaux de présence spirituelle dans le cosmos » et prend ainsi « soin de toutes les formes de vie pour l’avenir de la planète".

"L’anthropologie a la responsabilité de mettre en valeur la diversité hétérogène à tous les niveaux, d’une manière telle que la culture et la nature ne soient pas réifiées comme des domaines fixes mais comprises comme un milieu en symbiose que les gens peuvent transformer pour stimuler une meilleure coexistence."

les autochtones ne se définissent pas sur des bases ethniques, mais géographiques, au sens où font communauté tous les vivants partageant un même paysage.

Cette acception a le mérite de dépasser les frontières restreintes de l’État-nation pour inclure dans la communauté tous les humains habitant ces lieux, quelle que soit leur nationalité. Et c’est ainsi que plusieurs peuples autochtones se sont saisis de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) afin d’y "porter une revendication militante à la lumière d’un grand public transnational". Les représentants du Cercle de sagesse désirent ainsi faire inscrire le chamanisme au patrimoine mondial de l’humanité.

MANIFESTE DU CERCLE DE SAGESSE DE L’UNION DES TRADITIONS ANCESTRALES

FIDÈLE À SA DÉCLARATION FONDATRICE, notre Cercle organise, depuis 2008, une grande célébration du Chamanisme qui rassemble, au printemps de chaque année, et de façon festive, de très nombreux participants.
Au delà de cet évènement, il nous a semblé judicieux d’élaborer le présent manifeste, qui vise à faire connaître au plus grand nombre ce qu’est le Chamanisme et quels sont ses buts.
Le Chamanisme est ancestral, archaïque et universel : ancestral, car transmis par des lignées fort anciennes d’hommes et de femmes ayant choisi de se consacrer à ce service ; archaïque, car son origine remonte aux origines mêmes de l’humanité ; et universel, car il a rassemblé des êtres humains de tous les continents et de toutes les cultures pendant des milliers d’années.
En Europe, l’archéologie atteste de l’existence très ancienne de Chamans et de pratiques chamaniques. Bien plus tard, là où il s’y établit, ce fut au tour du peuple Celte d’assimiler l’héritage existant des peuples préceltiques, de l’enrichir, et de maintenir ainsi vivante la tradition du Chamanisme européen, jusqu’à l’arrivée des Romains et du Christianisme, et même au-delà. Dans d’autres parties du monde, autant dans les trois Amériques qu’en Asie, en Afrique ou en Océanie, les traditions chamaniques sont restées vivaces et vivantes, souvent jusqu’à nos jours, témoignant de sagesses dont notre monde a soif.
Le Chamanisme, existant avant toutes les civilisations centralisées, se situe bien en amont des sagesses, des façons de penser, des sciences, des religions et des médecines élaborées que nous connaissons de nos jours.

L’analyse que fait la chercheuse du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) des lieux en résistance rejoint ainsi la théorie des "espaces libérés depuis lesquels tisser des réseaux de lutte" que développe Jérôme Baschet dans son dernier livre, Basculements (La Découverte, 2021) [https://reporterre.net/Autochtones-de-tous-les-pays-unissons-nous#nb1].

Cette vision, Barbara Glowczewski lui donne un nom : le "nomadisme existentiel". Pratiqué par ceux qu’elle appelle les "réfugiés de l’intérieur" (comme les Aborigènes, les Amérindiens, les demandeurs d’asile, etc.), ce mode de vie consiste à "revendiquer le droit de s’installer dans des foyers mouvants" sans se les approprier pour son propre usage. Ainsi, bien que nombre de clans aborigènes se soient fixés autour d’un site spécifique, leur cosmogonie totémiste, au sein de laquelle ils cohabitent la Terre avec d’autres vivants et non-vivants, exclut toute exploitation intensive du territoire ; ils n’en sont que des passagers, eux-mêmes traversés par d’autres forces. Or, l’anthropologue constate qu’un tel nomadisme menace les fondements mêmes du mode de vie sédentaire des États modernes, qui en retour y "répondent par une violence destructrice pour empêcher que ces mouvements deviennent contagieux".

A l’encontre des États qui se sont historiquement construits en sédentarisant des populations, de gré ou de force, et en les assujettissant à des travaux agricoles et urbanistiques pénibles afin de mieux les contrôler, on saisit mieux ce qu’ont d’envoûtant le "nomadisme existentiel" et, in fine, le "compagnonnage des peuples en lutte" auquel appelle Barbara Glowczewski pour "résister ensemble face à d’autres alliances internationales économiques et financières qui détruisent la planète et tout ce qui l’habite".