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Michel Simonis

Le dernier homme de la terre indigène Juma est...

Le peuple Juma au bord de la disparition

Article mis en ligne le 27 juin 2021
dernière modification le 18 juillet 2021

Le dernier homme de la terre indigène Juma est décédé des suites du virus. Une disparition qui laisse entrevoir les conséquences dramatiques de la pandémie pour les populations autochtones.

Solenne Bertrand (c) Libération

Amoim Aruká était le dernier homme du peuple autochtone Juma, de l’Amazonie brésilienne. Mais il est décédé le 17 février, à l’âge estimé de 86 ans (il n’avait pas d’état civil officiel) des suites du Covid-19. Tout au long de sa vie, il fut le témoin d’une série de massacres réduisant son peuple de 15 000 individus au début du XXe siècle à cinq en 2002. Seules ses trois filles pourront continuer à porter la culture de leur peuple. En fervent défenseur des droits de son peuple et de la préservation de la forêt amazonienne, Amoim Aruká s’était battu en 2004 pour que le territoire Juma obtienne le statut officiel de Terre indigène (TI), protection reconnue par la Constitution.

Sa disparition est « un événement tragique », pour les représentants de la Coordination des organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne (Coiab) qui dénonce un abandon de ces populations à leur sort. Selon la Coiab, dès juillet 2020, le peuple Juma devait faire partie des peuples protégés par des barrières sanitaires, c’est-à-dire par des contrôles de la police fédérale ou par des agents de la Fondation nationale de l’Indien (Funai) pour empêcher l’entrée de personnes étrangères dans ces territoires. « Les peuples autochtones avaient fait cette demande pour se préserver de la pandémie », explique Sébastien Rozeaux, maître de conférences en histoire à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Car si les terres indigènes sont protégées par la Constitution brésilienne de 1988 et sont la propriété du peuple, leurs frontières restent poreuses.

« Accès limité aux soins de santé »

Ainsi, Irène Bellier, anthropologue, directrice de recherche au CNRS et vice-présidente du Groupe international de travail pour les peuples autochtones (Gitpa), relate, dans un article du 20 mai 2020, comment de nombreuses communautés ont pris rapidement la décision de bloquer l’accès à leur territoire avant même que l’Etat décide de fermer les frontières. Mais malgré ces tentatives, la pandémie a durement frappé les peuples autochtones. Avec ses 250 000 morts et ses plus de 10 millions de contaminations, le Brésil est le deuxième pays le plus endeuillé derrière les Etats-Unis. Si aujourd’hui, les peuples autochtones ne représentent que 0,4 % de la population brésilienne, l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB) y a dénombré, depuis le début de la crise sanitaire, 973 décès et 50 000 cas d’infections.

Ces chiffres s’expliqueraient par plusieurs facteurs. D’une part, selon l’historien Sébastien Rozeaux, « les communautés autochtones sont décimées car elles connaissent un accès limité aux soins de santé ». D’autre part, elles souffrent de l’absence de protection par le gouvernement. « Le Président Jair Bolsonaro a fait le choix de soutenir l’agrobusiness, affirme Sébastien Rozeaux. L’Amazonie est perçue comme une immense réserve foncière de terrains qu’il faudrait convertir au progrès. »

Par ailleurs, plaçant la priorité sur le développement économique, de nombreux projets d’exploitation minière, pétrolière et agro-industrielle autorisés par le gouvernement brésilien ont vu le jour depuis un an et ce « sans aucune consultation préalable des peuples concernés », relève l’anthropologue Irène Bellier. Les travailleurs et trafiquants qui profitent de ces activités liées à l’exploitation de la forêt et à l’agriculture peuvent véhiculer avec eux le virus. Et ainsi le faire entrer chez les peuples qui y sont plus sensibles.

« Négligence criminelle »

Cette thèse est très largement défendue par les associations de défenses des populations indigènes brésiliennes. Dans le communiqué relatant la disparition d’Amoim Aruká], la Coiab pointe du doigt la « négligence criminelle » et l’« incompétence » du gouvernement dans la protection de ces peuples en « immense vulnérabilité et menacés de disparition ».

Pour Glauber Sezerino, sociologue et coprésident de l’association Autre Brésils, il y a une « politique voulue d’extermination » : « Même quand il était député, le président Jair Bolsonaro, était toujours opposé aux droits des populations autochtones. Pour lui, ces peuples ne produisent rien donc il ne faut pas leur donner un centimètre carré de territoire. » Cette exploitation économique est vue comme une « invasion » dangereuse par Glauber Sezerino : « Il faut empêcher Jair Bolsonaro de mener sa politique anti-indigéniste, sinon toutes les populations autochtones risquent de disparaître. »

Publié le 28-02-21 dans La Libre