
Lors des législatives israéliennes de mars 2021, dominées par la compétition entre partis de droite extrême et d’extrême droite, quelques voix dissidentes se sont fait entendre. Discussion avec l’une d’elle, Tali Shapiro.
Extraits
Pour lire plus de cet entretien, voir sur mon blog Palestine :
et pour lire le document complet, vous le trouverez ICI.
https://draft.blogger.com/blog/post/edit/28712897/8707364829993744097
Face à ce qui peut être vu comme un bloc politique monolithique, la société civile israélienne offre des nuances qui disent beaucoup des enjeux auxquels est confronté le pays, tout autant que de ses contradictions. Dans cette société civile se distinguent des militants israéliens qui ont choisi d’agir, voire de vivre, aux côtés des Palestiniens. Parfois qualifiés de smolanim (gauchistes), honnis par la droite et l’extrême droite, ils offrent une voix dissidente qui vient contredire le discours majoritaire, cultivent la désobéissance civile ou l’objection de conscience. Parmi eux, Tali Shapiro, une citoyenne israélienne dont le parcours, même singulier, illustre un courant certes minoritaire, mais qui résiste.
Hassina Mechaï. — Comment et pourquoi êtes-vous devenue une militante ?
Tali Shapiro. — J’ai grandi dans une certaine forme d’ignorance politique. Plus précisément dans un foyer ashkénaze où les mythes sionistes étaient considérés comme allant de soi. Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai eu pour partenaire de vie quelqu’un qui avait grandi dans un foyer situé plus à gauche que ma famille. C’est grâce à cette relation que j’ai entendu pour la première fois un récit autre, qui venait concurrencer celui dans lequel j’avais grandi. Il m’a fallu plusieurs années pour rassembler les pièces du puzzle. Cela a pris du temps, car je tentais de rassembler les bribes d’informations que je recevais. Nous n’abordions pas la question de manière formelle. Ce n’était que des conversations, généralement des commentaires sur les nouvelles que nous regardions ou un regard autre sur les médias israéliens. En 2009, quand Israël a bombardé Gaza, tout a fait sens. Le choc et la rage m’ont poussée à entreprendre un processus de compréhension de la situation plus rigoureux. À partir de là, j’ai rapidement rejoint les manifestations à Bil’in et dans d’autres villages, en Cisjordanie et grâce à des amitiés et des liens noués là-bas, le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS).
H. M.— Pourquoi ce mode d’engagement ?
T. S.— Participer aux manifestations dans les villages a été surtout un acte spontané. Je voulais rencontrer ces gens qui souffrent pour que, moi, je puisse vivre pleinement. Je voulais être vraiment là pour eux, d’une façon qui ait un sens pour eux. Je voulais aussi, de manière très viscérale, exprimer mon refus de participer à la destruction, mon refus face une cette mécanique d’effacement et de contrôle systémique qu’est l’occupation.
Rejoindre le mouvement BDS s’est inscrit dans la logique de cet engagement. BDS ébranle le cœur même du système d’oppression israélien, par le biais d’une analyse économique, institutionnelle et culturelle. Nous mettons en évidence la manière complexe dont les entreprises, les institutions éducatives et culturelles, le gouvernement, l’armée et les colonies font lien avec l’oppression et la perpétuent. Nous exigeons la fin de cette complicité, en soulignant que les cadres juridiques, politiques et sociaux existants doivent être appliqués pour que cette situation cesse.
(…)
Je suis devenue critique, non seulement de la violence qui m’entoure, mais aussi du système socio-économique qui la perpétue. Mes amis et mes proches sont tous des militants. J’ai abandonné le rêve de ma vie, qui était de devenir artiste, pour prendre n’importe quel emploi et me permettre d’agir ainsi. J’ai choisi aussi de vivre à Ramallah. Si on m’avait dit à 18 ans que c’est là que je vivrais à 38 ans, j’aurais été perplexe.
H. M.— Observez-vous des points communs entre les militants israéliens que vous côtoyez ?
T. S.— C’est un cheminement très personnel, qui reste singulier pour chacun. Chacun est issu de divers milieux socio-économiques, raciaux, sexuels et religieux. L’adhésion au mouvement est singulière, avec des points d’entrée différents pour chacun. Si nous savions comment reproduire les phénomènes de dissidence interne, nous le ferions.
(…)
Lorsque les Israéliens gagnent la confiance des Palestiniens, ils nouent de véritables amitiés.
H. M.— La société israélienne est-elle réceptive à vos actions ?
T. S.— Plus de gens signent notre appel au boycott de l’intérieur. Nous avons aussi observé, à travers les médias sociaux, que de plus en plus de gauchistes israéliens sont d’accord avec cette idée de boycott. Cependant, j’observe une évolution de la gauche israélienne : elle a aujourd’hui une compréhension plus large du lien entre le colonialisme et l’économie. Il y a de nouvelles voix, de nouvelles alliances, une plus grande ouverture au mouvement BDS. Cependant, si la gauche s’est développée, elle reste encore une part négligeable de la société israélienne. C’est d’ailleurs ce constat qui peut mener beaucoup à rejoindre le mouvement BDS.
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Plusieurs lois entravent la liberté d’expression, notamment la loi qui définit le BDS comme un « délit civil ». Cela peut nous mener à devoir payer des amendes de dizaines de milliers de shekels.
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H. M.— La société civile israélienne est quand même plus complexe que ce qu’on perçoit parfois de l’étranger, notamment dans la vitalité des débats…
T. S.— Si la société israélienne était propice au débat sur ces questions, le débat aurait eu lieu. Je pense que ce qui est tabou est sanctionné de manière agressive. Ceci est vrai pour toutes les sociétés.
Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas essayer et n’essayons pas de créer les conditions pour pouvoir tenir ce débat. Cela signifie également qu’en raison de nos ressources limitées, nous devons choisir nos batailles. Une victoire mène à une autre. Toute conscience politique n’est pas une chose statique, mais plutôt une dynamique permanente.
H. M.— Pensez-vous que la solution à deux États soit encore possible ?
T. S.— Je pense que le paradigme des deux États n’aurait jamais dû être mis sur la table. C’est une consolidation du colonialisme. Or le colonialisme est la domination ou l’expulsion d’une population ethniquement identifiée et son remplacement par une autre population. Ce paradigme échoue depuis 1949. Israël, malgré les apparences, est un État failli qui ne parvient pas à assurer le bien-être et même la survie de millions d’êtres humains sous son régime. Pourtant il prétend qu’il n’a pas d’obligation légale envers eux. Une mission de maintien de la paix aurait dû être déployée pour protéger les populations, permettre le retour immédiat des réfugiés. Des efforts diplomatiques sérieux devraient être entrepris pour juger les auteurs de ces crimes. Tout le paradigme de la partition était voué à l’échec.
H. M.— Que pensez-vous du champ politique israélien actuel ? Semble-t-il capable de proposer une solution ?
T. S.— Le champ politique israélien actuel ne semble capable que de proposer un génocide. Ce n’est pas une hyperbole. Les élections se situent entre Nétanyhaou, l’initiateur du plan d’annexion Trump-Kushner et Benny Ganz qui se vante d’avoir « ramené Gaza à l’âge de pierre, » comme si c’était un mérite politique. Je ne pense pas qu’il faille leur demander de trouver des solutions au problème de la violence qu’ils commettent.
La seule solution est l’arrêt immédiat de la violence et le retrait du pouvoir aux auteurs de ces actes. Bien qu’il y ait des forces opposées, principalement les partis palestiniens, c’est peu ; c’est comme tenir d’un doigt un barrage qui s’écroule. Mais ce n’est qu’à cette condition qu’on pourra commencer à envisager des actes de réparation et de responsabilisation. Tout cela devrait être mené par les victimes et encouragé par la communauté internationale.
Israël/Palestine > Conflits > Politiques > Hassina Mechaï > 16 mars 2021
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