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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

La jeunesse doit-elle être Charlie ?
Article mis en ligne le 16 janvier 2015
dernière modification le 22 janvier 2015

J’ai bien aimé ce témoignage. Dans certaines écoles, des jeunes ont "refusé" (!) d’observer une minute de silence en classe !. Mais pourquoi leur imposer une minute de silence ? Pourquoi pas plutôt passer un moment à discuter avec eux ? "Discuter" pour moi, veut dire d’abord leur donner la parole, organiser les échanges et répondre à leurs questions. Si on veut défendre la liberté d’expression, celle-ci ne commence-t-elle pas dans nos classes ? Car c’est là qu’elle s’apprend. Et qu’on apprend à respecter celle des autres. L’école sert à cela aussi.

CONTRIBUTION EXTERNE publiée le lundi 12 janvier 2015 dans La Libre (dans a rubrique Opinion)

Les actes terroristes ont suscité de nombreuses réactions dans le chef des élèves : des idéaux merveilleux, des confusions à n’en plus finir et des milliers de questions. Comment y répondre ?

Une enseignante raconte.

Notre école abrite 35 nationalités et autant de références culturelles et religieuses. Face à l’affaire "Charlie Hebdo", les réactions sont vives : "C’est un complot !", "Pourquoi Charb n’a-t-il pas écouté les menaces ? Il avait été prévenu !", "Madame, savez-vous combien de personnes meurent de faim tous les jours ? Combien tombent à Gaza chaque année ? Alors 12 personnes, franchement, pourquoi tout un foin ?".

Leurs propos pertinents méritent d’être entendus. Mais nos jeunes doivent aussi être formés. L’esprit critique n’est pas inné, il s’acquiert, nécessite une éducation rigoureuse et du travail. Et cela doit s’effectuer dans le respect des lois, inspirées par la Déclaration des droits de l’homme. Et nos écoles catholiques ajoutent à cela un commandement : "Aime ton prochain comme toi-même." Même l’élève à qui je dois expliquer quinze fois la même chose, même l’élève qui crache sur "Charlie Hebdo", même l’élève qui proclame "Je suis Charlie", même les deux hommes qui ont tué 12 personnes mercredi. "Aime ton prochain", commandement exigeant mais indispensable à notre vie en communauté.

"Moi, je sais que c’est un complot !"

Excellente intervention. Est-ce un coup monté ? Nous y reviendrons plus loin. Notons cette question au tableau pour ne pas l’oublier. A la fin du débat, l’élève aura compris lui-même : quelle que soit l’origine de cet attentat, il pose les mêmes questions, touche aux mêmes valeurs et implique les mêmes réactions.

"12 personnes, franchement, pourquoi tout un foin ?"

Très bonne remarque. Pourquoi cette polémique ? Pourquoi tout le monde proclame-t-il "Je suis Charlie" ? Analysons ce phénomène médiatique. L’enjeu réside-t-il dans le nombre de morts ? Non. Alors, pourquoi tant de bruit ? Parce que ça s’est passé à côté de chez nous. Mais aussi parce que cet attentat ébranle notre système politique, nos valeurs fondamentales, nos lois. La liberté d’expression, de presse, de culte et le droit à la vie sont autant de prescrits moraux que nos constitutions garantissent. A-t-elle une limite, cette liberté d’expression ? Oui : notamment l’interdiction de tenir des propos racistes et xénophobes.

"Oui, mais alors, ‘Charlie Hebdo’, qui est raciste, pourquoi n’a-t-il pas été puni ?"

Intéressante question. Quid de sa xénophobie, de son islamophobie ? Analysons ensemble une caricature : "Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles" ou le dessin du prophète qui dit "C’est dur d’être aimé par des cons". Le journal satirique (après analyse critique) ne dénonce donc pas l’Islam mais l’utilisation qu’en font les fondamentalistes islamistes. Cependant, après lecture approfondie des numéros de "Charlie Hebdo", on pourra être choqué. Parce que ces dessinateurs anarchistes semblent ne pas se soucier de la peine et du sentiment d’humiliation qu’ils peuvent provoquer. Et, en 1993, face à leur titre "Le Roi des Cons est mort", je suis ulcérée, moi qui avais du respect pour Baudouin. Ai-je le devoir de respecter ces gens qui rient de ce que j’affectionne ? Oui, j’en ai le devoir. Mais c’est difficile de vivre à leur côté. Nous ne sommes donc ni obligés d’affirmer "Je suis Charlie", ni forcés de nous rallier à ces dessinateurs avec lesquels nous n’aurions peut-être pas été d’accord. Par contre, nous avons le devoir de défendre nos libertés dans le respect de chacun. Et si j’estime que "Charlie Hebdo" va trop loin, j’ai mille solutions.

"Si les deux frères avaient discuté avec Charb, pensez-vous qu’il les aurait écoutés et qu’il aurait cessé de caricaturer le prophète ?"

Non, peut-être pas. Les rédacteurs ont d’ailleurs eu affaire à la Justice près de cinquante fois sur les vingt dernières années et sont sortis indemnes de la majorité des procès - intentés essentiellement par des personnalités d’extrême droite et par des catholiques. La question se pose donc : qu’auraient-ils dû faire ? Il s’agit, ici, d’amener les élèves à réaliser eux-mêmes l’enjeu réel de l’histoire : le problème de la gestion des désaccords. La classe devient le Parlement, divisée en deux groupes : les uns estiment qu’on a le droit de rire de tout, les autres veulent l’interdiction des caricatures qui se moquent des religions. Réaction des élèves : "On va discuter et trouver un juste milieu : par exemple, autoriser les caricatures sur les religions mais interdire la représentation de Jésus ou Mahomet, prescrit sacré pour les fidèles." A cette longue et délicate discussion, j’annonce que les premiers préfèrent une autre solution : brandir des kalach’ et massacrer tous les autres. Ainsi, ils vivront dans un monde où on peut rire de tout, et ceux qui ne sont pas contents : dehors ! Les élèves font ainsi la distinction entre deux méthodes pour régler les conflits : la violence (efficace, facile, outil des Dictatures) qui s’oppose à la négociation (le dialogue, option plus compliquée, outil des Démocraties). Quant à la liberté d’expression, doit-on lui fixer d’autres limites que celle des propos racistes ? Et si, demain, une religion nouvelle s’installe, qui interdit de dessiner ceci ou cela, que fera-t-on ? Où s’arrêtera-t-on ? Je n’ai pas de réponse. Ce n’est pas facile de vivre ensemble. Mais, face aux désaccords, le dialogue et la négociation sont la seule option viable dans nos démocraties.

Quel est le sentiment que cet événement fait naître dans le cœur des Européens ?

"La peur." Et la peur nous projette dans le domaine de l’émotionnel, nous rend manipulable. Que va provoquer cette peur en France ? Les citoyens risquent de se diriger vers les personnalités politiques - essentiellement d’extrême droite - qui tiennent des discours simples en promettant de les protéger. Peut-on réellement sécuriser un Etat ? Une de ces personnalités a récemment proposé aux Français de rétablir la peine de mort. Respecte-t-elle ainsi nos idéaux démocratiques ? Ou, au même titre que les terroristes de mercredi, ne respecte-t-elle pas du tout le droit à la vie ? Si elle était élue, que fera-t-elle pour la sécurité ? Imposer des perquisitions dans les maisons habitées par des musulmans (puisque les derniers attentats sont le fait d’hommes se réclamant de cette religion-là…) ? Et ensuite, leur demander de porter un croissant cousu sur le cœur ? J’extrapole, certes, mais il est important de rappeler à nos élèves l’histoire des années 30’, cette histoire où Hitler a fait basculer l’Allemagne et le Monde dans une longue nuit peuplée des fantômes de 50 millions de morts. Ne pas oublier. Pour ne pas recommencer.

Complot ou pas, l’enjeu est le même : ne pas céder à la peur, éviter l’amalgame, bannir la violence… Et, de manière positive : apprécier ou non "Charlie Hebdo" mais être courageux, aller vers l’autre même s’il est différent, s’opposer au radicalisme quel qu’il soit (extrême droite, terrorisme, etc.), être prêt à lutter pour notre démocratie et ses libertés. Ces hommes cherchent à nous diviser, unissons-nous. Ensemble contre la violence, pour le dialogue, pour la paix.

La jeunesse n’est pas en perdition, elle est profondément en recherche.

Développer son esprit critique et oser le débat est notre mission d’enseignant.

Nathalie-Marie Lievens
Enseignante en Histoire en 5e et 6e humanités

http://www.lalibre.be/debats/opinions/la-jeunesse-doit-elle-etre-charlie-54b437b235703897f82bde81