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Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

ENTRE LE TTIP ET L’IDENTITÉ EUROPÉENNE, IL FAUT CHOISIR

L’analyse Pierre Defraigne *

Article mis en ligne le 23 juin 2014
dernière modification le 1er mai 2019

19 juin 2014

EXTRAITS
Je relève les points qui me parlent le plus, et m’attache plus aux conséquences sur le reste du monde (MS)

texte complet à télécharger

Nous ouvrons, avec retard puisque la négociation est déjà engagée, le débat sur le TTIP, le projet d’accord commercial transatlantique entre l’UE et les USA. L’opinion européenne, lente à se former, a été prise de court par la diplomatie et par les lobbies. Et ceux-là qui ont réussi leur coup, entendent préserver leur avantage et interdire le débat. Parmi eux, illustration du discours dogmatique néo-libéral, Monsieur Alexander Stubb, Ministre finlandais des affaires européennes et candidat, dit-on, au portefeuille de Commissaire au Commerce, feint de croire que les opposants au TTIP sont forcément contre le capitalisme, la mondialisation, le libre-échange, les Etats-Unis et l’Alliance Atlantique, histoire bien entendu de les discréditer.

Navré de n’ être rien de tout cela, et tout de même de m’affirmer adversaire résolu du projet d’accord commercial euro-américain.

Je crois en effet, pour ma part, que la mondialisation est bénéfique parce qu’elle a amorcé une convergence Nord-Sud à partir de la libéralisation du commerce, mais qu’elle exige que ses gains et ses coûts soient équitablement partagés par des mécanismes politiques. Je ne perds pas mon temps à tendre le poing vers le ciel en vilipendant le capitalisme, mais je travaille activement à sa régulation. J’aime l’Amérique à laquelle je dois une part décisive de ma formation d’économiste. Enfin, je suis attaché à l’Alliance Atlantique que je veux paritaire entre USA et Europe.

Mais avant tout, je suis passionnément et obstinément européen. Je vois l’Europe rassemblée autour d’un modèle social ambitieux et dotée d’une défense commune, condition de son autonomie stratégique au sein de l’OTAN.

Je soutiens que le TTIP fait dériver l’Europe de sa trajectoire et la place sur une orbite de puissance secondaire, et d’abord parce qu’il la fait renoncer à son modèle social en l’asservissant à la force gravitationnelle du modèle américain qui est légitime, mais différent et éloigné de nos valeurs propres.

Partons de l’écart qui se creuse aujourd’hui en l’Europe et le citoyen et que précisément le projet de traité transatlantique va encore aggraver. L’UE, longtemps un thème de consensus et de ralliement en Europe est désormais un signe de contradiction.
Pourquoi ? Pour deux raisons.
(...)

1. Qu’est-ce que le TTIP ?

Ce n’est pas une simple zone de libre-échange. Karel De Gucht, le Commissaire au Commerce, parle d’un « marché intérieur transatlantique ».
• Il s’agit d’abord de supprimer – presque – tous les tarifs douaniers subsistants. Ceux-ci sont bas en moyenne – de 2 à 2,5% – mais comportent encore des pics tarifaires dissuasifs.
• Ensuite, le TTIP diminuerait de 25% les obstacles non tarifaires aux échanges, notamment en matière de services, d’investissements, d’accès aux marchés publics des Etats fédérés et des villes. Il organiserait aussi la convergence règlementaire par harmonisation ou reconnaissance mutuelle en matière de normes et de standards, propriété intellectuelle, etc.
• Enfin, il instaurerait une instance d’arbitrage privée ouverte aux entreprises contre les Etats, qui pourrait condamner ceux-ci à modifier leurs législations ou à acquitter des dommages-intérêts.
(...)

3.Quelles critiques adresser au TTIP ?

Distinguons ce qui concerne les protagonistes et ce qui touche aussi le reste du monde.

a. Le TTIP et les deux protagonistes

(...)

  • la négociation sera asymétrique entre une Amérique intégrée, unie et puissante, et une UE-28 hétérogène dépourvue d’un mécanisme de redistribution interne des gains et des coûts de la libéralisation entre Etats-membres et surtout avec un marché intérieur inachevé dans des secteurs critiques, notamment des services : énergie, télécommunications, numérique, services financiers, industries de défense.
  • la convergence règlementaire, raison d’être principale du TTIP, pose question car les normes et standards diffèrent des tarifs sur un point capital. Avant d’être des obstacles aux échanges, ils sont des outils de protection pour les consommateurs, les travailleurs, les épargnants, etc. La normalisation financière, sanitaire, sociale, environnementale et en matière de protection des données privées et des libertés répond en effet à des valeurs sociétales et culturelles profondes qui vont bien au-delà des considérations d’économies d’échelle pour les entreprises. La convergence règlementaire transatlantique se heurtera donc aux différences de préférences collectives notamment en regard du principe de précaution sanitaire et environnemental (OGM, hormones, poulets chloridés), et par rapport au degré de préférence pour l’égalité et la solidarité qui en découle. Elle achoppera aussi sur les modes de faire respectifs des deux côtés de l’Atlantique : la règlementation ex-ante versus contentieux ex-post, la multiplicité des agences autonomes et des niveaux de pouvoirs, et last but not least, l’emprise des lobbies américains sur les régulateurs et sur le Congrès.
  • l’ISDS, c’est-à-dire le recours à l’arbitrage international privé, ne se justifie pas entre deux partenaires comme les USA et l’UE dotés chacun d’un bon système légal et d’une justice indépendante. La clause arbitrale est un expédient pour traiter avec les Etats où la règle de droit ne fonctionne pas. Elle n’a pas sa place dans la relation transatlantique sauf à considérer que nos systèmes judiciaires respectifs ne fonctionnent pas non plus au-dedans. Il faut alors les réformer pour tous les investisseurs, domestiques et étrangers.
  • Plus important néanmoins, comment concilie-t-on, dans ce « marché intérieur transatlantique », concurrence commerciale loyale et rivalité entre monnaies internationales – le dollar et l’euro – dont l’une est sujette à une dépréciation voulue et l’autre est condamnée à s’ajuster ?
  • Comment assurer cette même concurrence loyale dans les secteurs à haute intensité énergétique (acier, aluminium, chimie, transports) entre deux partenaires, dont les politiques énergétiques et climatiques divergent sur des aspects fondamentaux, notamment le gaz de schiste ?
  • Quant aux PME, censées avoir accès au marché américain comme à n’importe quel marché national dans l’UE, elles seront aussi davantage exposées aux menaces de prises de contrôle : l’actionnariat familial et stable n’est pas la culture dominante chez le fonds de pensions américains.

B. Impact sur le reste du monde

Au-delà de ces considérations qui ne touchent que les Etats-Unis et l’Europe, il nous faut élargir notre horizon et considérer le monde. Les objections se font plus sévères encore.

  • D’abord le TTIP n’est pas dans l’esprit de l’OMC. Il mine en effet sérieusement le multilatéralisme dont USA et UE devraient être les piliers et les garants. L’article XXIV du GATT permet une exception au principe de non-discrimination entre Membres pour des zones de libre-échange. Mais il n’a pas été conçu pour construire une « coalition de convergence règlementaire » des deux plus grandes puissances commerciales – sur le déclin – pour dicter leurs normes et standards aux autres Membres.
  • Ensuite il est évident que les USA, pivot unique des accords transpacifique et transatlantique, s’attribuent une position dominante dans l’élaboration des standards et normes à vocation pluri-ou multilatérale.
  • Enfin, a-t-on réfléchi à la possibilité d’une riposte chinoise qui ruinerait le scénario (...)
    Est-on sûr que la Chine n’est pas en mesure d’organiser à son tour une contre-coalition règlementaire avec ses voisins, fournisseurs et clients ? Ceux qui ont lancé inconsidérément la négociation du TTIP ne sont-ils pas en train de déclencher une confrontation de blocs commerciaux. C’est le risque couru dès que l’on déserte le champ du multilatéralisme.

4. conclusion

L’affaire du grand marché transatlantique est singulière à plusieurs égards. Quant au consensus de départ du côté des Etats-membres et du Parlement – Ecolo, je le répète volontiers n’en était pas – il évoque la parabole des aveugles si éloquemment illustrée par Bruegel : conduits par l’un d’entre eux, ils tombent dans le fossé.
D’abord, comment l’Europe prendrait-elle le risque de jouer son identité-même, en asservissant son modèle à une culture politique très différente de la nôtre, quand bien nous partageons des principes politiques et économiques communs et une alliance stratégique comme l’OTAN ? Font-ils vraiment confiance à l’Europe, ceux qui ne lui voient d’avenir que dans un carcan atlantique face à l’émergence d’un monde multipolaire ? Pour ma part, je redis : Alliance atlantique, oui, mais avec la parité UE-USA parce que nous sommes différents !
Ensuite, pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas encore pris comme UE toute la mesure de son potentiel propre de puissance stratégique et la responsabilité qui y est attachée vis-à-vis du reste du monde. Le rôle de l’Europe est d’explorer et de proposer aux autres pays un modèle de développement équitable et soutenable dans le nouveau contexte de la mondialisation et des contraintes sur les ressources et sur le climat. Elle doit faire rayonner cette idée dans le monde comme elle l’a fait au fil de son Histoire avec la civilisation gréco-romaine, le Christianisme et les Lumières. Pour cela, elle a besoin de définir librement son modèle et l’articuler sur une réindustrialisation fondée sur l’innovation, sur la sobriété dans l’usage des ressources, sur le partage équitable de la valeur ajoutée et sur la constitution de champions européens industriels et financiers intégrés et soumis à une fiscalité et à un droit des sociétés harmonisés. Mais elle doit aussi appuyer son « soft power » sur un « hard power » dont elle aurait la maitrise politique. Le modèle ne va en effet pas longtemps sans la puissance. Le « consensus de Washington » qui a été dicté au monde – y compris l’Europe – par les néolibéraux anglo-saxons, aurait-il pu s’imposer s’il n’y avait pas eu, derrière, la formidable puissance stratégique des Etats-Unis ?
(...)

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