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Michel Simonis

Langues régionales : le mutisme d’une génération
Article mis en ligne le 22 janvier 2014
dernière modification le 24 janvier 2014

Le linguiste Michel Francard publie une synthèse consacrée aux langues régionales. En constant déclin, ces idiomes ont de multiples facettes méritant d’être (re)découvertes. Un patrimoine qu’il faut décider de sauvegarder.

Il y a eu, au lendemain de la Grande Guerre, ce que j’appelle une génération du mutisme : toutes les langues étaient tues. Ce qui a laissé des traces dans l’inconscient collectif.

Les instituteurs sont venus dire aux parents - et ils l’ont dit en wallon : ’vous allez désormais vous taire en wallon parce que vous influencez vos enfants, et vous taire en français parce que vous n’êtes pas capables de bien le parler. Il y a eu, au lendemain de la Grande Guerre, ce que j’appelle une génération du mutisme : toutes les langues étaient tues. Ce qui a laissé des traces dans l’inconscient collectif. Une population qui fait ce choix, avec une pratique de délation et de stigmatisation à l’école, c’est assez violent. On n’en sort pas indemne. Les mécanismes d’insécurité linguistique vis-à-vis du français sur lesquels j’ai travaillé s’ancrent à ce moment-là.

J’ai rencontré des francophones de langue maternelle parlant très bien le français mais qui considéraient ne pas très bien le parler. Quand je les ai interrogés sur les raisons de ce sentiment, leur réponse a été inouïe : ‘Ce n’est pas ma langue’. Il y a ce sentiment d’être dépossédé de toute langue, celle qu’on avait avant et le français qu’on n’a jamais réussi à maîtriser aussi bien que les Français. De là naît l’insécurité.’

’En Wallonie, on aurait très bien pu parler et écrire en français tout en continuant à laisser vivre les langues régionales. D’autant que les conséquences ont été terribles pour la génération centrale, celle des parents qui ont choisi à un moment donné de ne plus transmettre.


EXTRAITS D’UN ENTRETIEN DE GENEVIÈVE SIMON Publié le samedi 14 septembre 2013 à 05h41 - Mis à jour le jeudi 26 septembre 2013 à 17h25

• On ne dispose d’aucune donnée chiffrée récente sur l’emploi des langues régionales. Qui, selon vous, les parle encore ?  

Je serais preneur d’un état des lieux parce qu’on vit sur des idées toutes faites.

D’après ce que je sais, il ne reste presque exclusivement que des locuteurs âgés, très âgés parfois. Les jeunes générations ne les pratiquent que dans des cas exceptionnels, comme au théâtre wallon, qui rassemble 250 000 personnes tous les ans, même si tous ne parlent pas nécessairement wallon. 

• Trois générations ont suffi à mettre en danger la pérennité de ces langues. La responsable est l’école qui, dans les années 20, les considérait comme un frein à l’apprentissage du français. Aujourd’hui, l’école ne doit-elle pas aider à leur sauvegarde ?  

L’école est un lieu idéal, non sans ambiguïtés puisque y proposer de nouvelles activités suscite toujours un tollé.

Mais si on en a vraiment envie, ce n’est pas très compliqué. On propose déjà des ateliers sur la BD par exemple, et hors du temps de midi. Les langues régionales y auraient donc tout à fait leur place.

Chaque fois qu’on propose que l’école serve de relais pour les langues régionales, on dit qu’il vaudrait mieux que les élèves apprennent à parler français. L’un n’empêche pas l’autre.

On vit ici dans une culture profondément monolingue. Apprendre une langue régionale, ce n’est pas à la place, c’est en plus. En outre, au lieu de considérer les langues régionales comme une activité isolée, il faut voir qu’elles se retrouvent en BD, dans les traces historiques, la culture, le folklore. Ceci gagnerait à être développé, pas seulement dans un cours de langue. 

• L’identité wallonne s’exprime timidement. Est-ce lié au déclin des parlers régionaux ? 

Tout à fait, et ce n’est pas anodin non plus de dire en Wallonie qu’il y a une langue régionale wallonne alors qu’il y a le picard, le wallon, le gaumais, et le champenois naguère. On a un territoire historiquement morcelé, qui l’est aussi linguistiquement.

La Constitution de la Belgique qui réunit deux composantes très différentes l’une de l’autre n’a favorisé à aucun moment l’émergence d’une langue commune. Ce qui m’a frappé, c’est qu’au Nord comme au Sud, on a eu, face à la même question (soit : quelle langue voulons-nous ?), le même réflexe : aller chercher une langue à l’extérieur, le français en Wallonie, le néerlandais des Pays-Pays en Flandre. En Wallonie, on peut le comprendre car le français y était d’usage plus tôt que dans certaines régions de France. Et comme il représentait en outre l’ascenseur social, cela ne m’étonne pas. Ce n’est pas le choix du français qui m’ennuie, c’est l’imposition du français sur la base d’une éradication (NdlR : lire ci-contre). C’est la différence majeure avec la Flandre : eux se sont tournés vers le néerlandais sans demander la fin des dialectes flamands. Ce qui leur a permis d’avoir une langue qui a pu faire pièce au français tout en gardant une série d’idiomes : un Brugeois a continué à parler le brugeois, un Anversois l’anversois. 

• Constatez-vous un regain de sympathie, voire d’intérêt vis-à-vis de ces langues régionales ?

Les dernières manifestations du wallon sont surtout liée à la convivialité, que ce soit lors de fêtes, familiales ou de quartier, de matches de foot. Cette notion de convivialité est aussi liée à la gastronomie, à un bien-être, à un bien vivre qui parle à tous, y compris à ceux qui ne pratiquent pas la langue. La sympathie vient alors assez naturellement, contrairement à ce qui se passait au moment où l’école chargeait le wallon de tous les péchés : c’était une langue de paysan, d’ouvrier, voire grossière, déclassante pour une femme.

Mais si les représentations sont plus positives, la pratique suit. Il faudrait peu, mais quelque chose de volontariste et d’assez systématique, pour y arriver. 

(...)

Ce que je connais de l’histoire des langues montre que la standardisation est inévitable. Il y a alors deux scénarios possibles. Ou on est extrêmement volontariste parce qu’on est pressé par le temps, ou on laisse faire. Avec le temps, on voit alors que les différences entre localités se réduisent à cause du brassage des populations. Le mouvement est plus ’soft’, plus lent. Mais quoi qu’on choisisse, une société se construit grâce aux langues qu’elle décide de faire vivre.

Michel Francard, ’Wallon, picard, gaumais, champenois. Les langues régionales de Wallonie’, De Boeck, 208 pp., env. 19,50€

ENTRETIEN DE GENEVIÈVE SIMON, LLB, samedi 14 septembre 2013

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