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Michel Simonis

Vivre dans un monde où la croissance n’est plus essentielle
A propos d’un article de Jean Hermesse
Article mis en ligne le 19 avril 2010
dernière modification le 19 juillet 2013

Jean Hermesse est Secrétaire Général de l’Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes et Vice-Président du Mouvement Ouvrier Chrétien.

Son article paru dans le numéro 95 (mars-avril 2010) du périodique mensuel de la Fédération MOC de Liège-Huy-Waremme ("Regard(s)") a suscité ma réflexion, en rapport avec le "symposium" de la Pachamama Alliance.

Je vous la partage.
Michel Simonis
18 avril 2010

A première vue, l’article de Jean Hermesse, paru dans le bulletin du Moc-Liège, n’avait attiré ni mon attention ni mon intérêt. Je ne trouvais pas la présentation très stimulante, ni le titre très porteur : "Décroissance. Arrêter la croissance et choisir le développement humain". Et puis, une phrase mise en exergue dans l’article attire mon attention. Elle se termine par ces quelques mots : "...surtout dans un modèle où la croissance n’est plus essentielle."

Et là, tout à coup, m’apparaît une nouvelle porte d’entrée dans le symposium, pour donner envie d’aller voir plus loin, et plus explicite que "changer le rêve" :
"Se préparer à vivre dans un monde où la croissance n’est plus essentielle".
Voilà un projet de longue haleine, un sujet d’atelier qui approfondit la question du "et maintenant quoi faire ?"

Postulons que de plus en plus de personnes, et en particulier ceux qui sont prêt à consacrer une journée ou quelques heures pour vivre un symposium savent maintenant que notre modèle de développement dont la croissance est le moteur principal "va dans le mur" et entraîne un collier de dégâts collatéraux et de catastrophes sociales.
Postulons que c’est devenu une évidence pour de plus en plus de monde que nous sommes face à une crise à la fois financière, économique, écologique, alimentaire, énergétique…
Dès lors, on se doute bien que la recette présentée pour en "sortir", simple et classique : "relancer la croissance en soutenant le crédit, la consommation et les grands investissements" est un leurre. [1].

Certes, les gens croient encore ou feignent de croire (peut-être tout simplement faute d’alternatives, ne sachant pas quoi penser d’autre) que la crise est passagère et que tout va revenir comme avant. Mais je pense que, de plus en plus, le grand public sait (savoir intuitif et encore confus, enfoui dans les replis de son cerveau collectif) que rien ne sera plus pareil et qu’il est temps de changer quelque chose. Mais sans savoir quoi. Ni comment. C’est là que l’inquiétude grandit. Ne pas savoir où on va, ni comment y aller. Savoir que nos enfants n’auront plus, à la différence des générations précédentes, une vie plus aisée, plus confortable et plus sûre que la nôtre, et ne pas savoir comment leur proposer des alternatives crédibles et enthousiastes.

Le "symposium" de la Pachamama Alliance" est un outil à notre disposition pour rencontrer ce malaise diffus mais perceptible.
Encore faut-il pouvoir le présenter au plus grand nombre, le rendre adéquat au moment présent, adaptable aux mouvements accélérés des remises en question qui se succèdent et prospectif. Non seulement qui s’adapte aux changements, mais qui les précède.

Comment être prêt, en avance sur l’air du temps ? Comment se soigner avant de tomber malade ? Comment prévoir ? On peut utiliser différents concepts : prévision, vigilance, prévention, principe de précaution, "gouverner (sa vie), c’est prévoir"...

Pouvoir me ré-installer dans un monde prévisible est essentiel à ma quiétude.
Alors autant avoir une bonne vision de ce qui nous attend, sans catastrophisme affolant, sans mythologie, mais aussi sans déni de la réalité.

J’en reviens à l’article de Jean Hermesse, que je me suis mis à lire en profondeur. Et je me suis rendu compte qu’il offre une remarquable synthèse, simple et claire, de toute la problématique du symposium, jusqu’à s’interroger : "Peut-on encore aujourd’hui face à la réalité des impasses auxquelles conduit le modèle de croissance prétendre que c’est une question de foi, de croyance ?"

Par delà l’ambiguïté de cette phrase, sur laquelle je reviendrai, l’article se conclut ainsi : "Cette crise a sérieusement fait trembler toute la construction et si on fait semblant de rien, qu’on continue comme avant, qu’on préfère y croire pour se conformer au modèle convenu et aux intérêts en place, le risque à la prochaine crise est l’effondrement de l’ensemble. L’alternative est d’oser penser d’autres fondations basées sur le développement humain produisant certainement plus de bonheur et de bien-être que le modèle usé de la croissance. Alors qu’est-ce qu’on attend ?"

Et c’est là que le symposium permet d’aller plus loin.
Je ne sais pas si le "alors qu’est-ce qu’on attend" que j’entends aussi dans la bouche de Yann Arthus Bertrand, est très mobilisateur. Il laisse les gens au milieu du gué, en plan avec une question qui mérite une réponse sauf ceux qui, justement, ont déjà des réponses).

On attend quoi pour se bouger ? C’est là qu’il faut creuser. Effectivement, on attend quelque chose.

Il est hasardeux de se bouger seul, et de se sentir soutenu. Savoir qu’on s’inscrit dans un grand mouvement collectif, ça aide. Nous ne sommes pas des héros, et savoir que nos changements individuels ne sont pas vu par les autres comme des inepties mais sont au contraire appréciées, ça aide. On ne regarde plus de travers le cycliste qui fait ses courses en ville en vélo. En deux ans de temps, les regards se sont fait plus sympathiques, accueillants, voire admiratifs. Participer à un grand mouvement qui se développe partout sur la planète, ça aide. La vidéo de Paul Hawken est un des moments les plus forts et les plus appréciés du symposium. Les participants disent que cela leur a redonné de l’espoir.

Le "qu’est-ce qu’on attend" renvoie aussi au besoin de rencontrer du soutien, tant politique (les responsables politiques prennent eux aussi leurs responsabilités), que financier (des primes vont compenser le manque à gagner pendant les premières années), social (la commune va favoriser les habitats groupés, les éco-quartiers de maisons passives ou bio-climatiques) ou affectif (créer des solidarités pour faire sortir de la solitude et de l’inquiétude, soutenir des réseaux d’entre aide, proposer des achats groupés...).

L’article de Jean Hermesse vaut donc la peine d’être lu et relu, commenté, approfondi. Il avance avec courage un certain nombre de pistes nécessaires. Mais je suggère surtout qu’on puisse le compléter en allant sur un terrain plus personnel, affectif, et, disons le mot avec prudence, "spirituel", là où nous entraîne le symposium.

Jean Hermesse parle de croyance, j’y reviens. Nous pourrions avancer sur ce terrain-là, parler de nouvelles "croyances" - ou de nouveau paradigme, terme que je préfère même si le mot est un peu savant... - parler de cette idée fausse fondamentale qui est de croire qu’on est séparés, qu’il y a "ici" et "là-bas", et prendre conscience que les peuples indigènes peuvent nous (ré)apprendre, avant qu’il ne soit trop tard, qu’il existe une autre vision de notre lien avec la nature et une autre façon de concevoir la vie.

Jean Hermesse ne pouvait sans doute aller plus loin dans son article. Mais nous pouvons faire le lien avec le symposium, et là, entrer dans le vif du sujet :
"Comment se préparer à vivre dans un monde où la croissance n’est plus essentielle ?"

 "se préparer" : être prêt, être dans la prévision, en avance sur l’air du temps, prévenir pour ne pas avoir à guérir.

Nous souffrirons moins si nous avons, si nous avons eu l’occasion de nous préparer mentalement. Un jour, il n’y aura plus assez d’eau potable pour tout le monde. Un jour, il n’y aura plus assez de kérozène pour tous les avions. Un jour, il n’y aura plus assez de carburant pour se chauffer et circuler, de places de parking, de lieux de vacances, de viande, de poisson... pour tout le monde.

Peut-être dans un siècle. Peut-être dans vingt ans. De toute façon, cela arrivera. Alors autant savoir. Autant être prêt. Sans catastrophisme, simplement en ayant, à temps, construit des alternatives.

C’est le propre de l’intelligence de comprendre les problèmes avant qu’il ne soit trop tard, afin de bifurquer vers d’autres solutions plutôt que de vouloir "faire plus de la même chose". C’est pourtant là que nous en sommes, et cela que nous sommes en train de faire.

Alors, aurions-nous perdu nos capacités intellectuelles ? C’est que sans doute, il est temps de compter davantage sur l’intelligence collective que sur l’intelligence pyramidale ("la solution doit venir d’en haut") mais les outils de l’intelligence collectives, qui existent [2], ne sont pas encore à la disposition de tous, et notre façon de vivre ensemble n’y est pas propice. C’est donc aussi par là qu’il faut commencer : comment faire fonctionner la société pour que puisse s’y déployer de l’intelligence collective qui seule est à même de solutionner les problèmes collectifs dans lesquels nous sommes coincés ?

 "vivre" : vivre et non survivre, trouver des valeurs nouvelles, une nouvelle qualité de vie, une nouvelle convivialité…

  "dans un monde" : le monde dans lequel nous aurons à vivre dorénavant est un monde planétaire, où tout est relié, pas seulement les gens, les cultures, les religions, les histoires, les productions ou les relations commerciales entre les hommes, mais aussi notre rapport à la nature, aux plantes, aux animaux, aux tremblements de terre et aux volcans…

 "où la croissance n’est plus essentielle" : puisque la croissance n’est plus la solution, mais qu’elle est devenue le problème, où se trouve la solution ? Parler de décroissance est stérile et démobilisateur. Le concept a d’ailleurs été énoncé avec une intention provocatrice. Alter-croissance alors ? les expressions comme celle de Pierre Rabhi, "sobriété heureuse" [3], sont davantage porteuses de sens … De nouveaux concepts vont apparaître, du style "Moins de biens, plus de liens" (le titre du petit livre d’Emeline de Bouver), ou… [4]

Les concepts ne changeront pas la vie. Mais ils vont changer notre regard. Et dans le "nouveau" paradigme (où l’observateur influe sur ce qu’il observe), changer de regard, c’est déjà changer la réalité…

Michel Simonis,
18 avril 2010

Jean Hermesse est Secrétaire Général de l’Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes et Vice-Président du Mouvement Ouvrier Chrétien.
Son article est paru dans le numéro 95 (mars-avril 2010) du périodique mensuel de la Fédération MOC de Liège-Huy-Waremme ("Regard(s)")

Pour lire son article en entier, voir http://mocliege.be/article2019.html ou le document ci-joint.