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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Du mouvement à la liberté intérieure
Rencontre
Article mis en ligne le 27 septembre 2012
dernière modification le 28 avril 2013

Je vous ai jadis parlé du livre de Thierry Verhelst "Des racines pour l’avenir" et vous en ai cité différents extraits en 2008 : "Une vision planétaire" et en 2009 : "Changer de paradigme".

Voilà que Thierry est atteint d’une maladie qui le paralyse peu à peu. Son témoignage, interpellant et émouvant, vient de paraître dans La Libre.

C’est pour moi un vrai coup de coeur, dans tous les sens du terme. A lire !

En mouvements incessants, à vélo à la mer ou dans les rues de Bruxelles, à pied en montagne, ici et ailleurs, par goût et de par sa profession, Thierry Verhelst, à l’aube de ses 70 printemps, s’avance vers nous cloué dans sa voiturette électrique. La tête légèrement inclinée vers l’avant - trop lourde - , un large sourire : "C’est extraordinaire, cette voiturette ! C’est la même que celle du film ‘Intouchables’, vous l’avez vu ? " Démonstration des prouesses de l’engin. Basculement en arrière, tête pratiquement au sol. "C’est comme ça qu’on fait pour que Thierry soit bien calé dans le fond du fauteuil ", intervient Roseline, son épouse, elle aussi rayonnante. "C’est merveilleux le système des soins de santé, en Belgique. Nous sommes vraiment bien aidés."

L’humeur n’est pas à se plaindre. A s’apitoyer sur son sort. Pas le style de la maison. L’histoire, on la raconte tout simplement. Cela a commencé il y a deux ans. Une de leurs deux filles, Barbara, fait remarquer à son père qu’il boite. "Et de fait, il m’arrivait de shooter dans un pavé déchaussé sur le trottoir, admet Thierry. Il se fait que cet été-là, nous avions marché sur le chemin de Compostelle. J’avais été piqué à trois reprises par des tiques. Mon médecin traitant a pensé à la maladie de Lyme La claudication s’est aggravée, nous l’avons assez naturellement mise sur le dos de la maladie de Lyme, même s’il planait un doute sur la possibilité d’une origine neurologique."
La consultation chez plusieurs neurologues permettra de poser le juste et douloureux diagnostic : sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot. Une maladie rare : un ou deux cas sur 100 000, estime-t-on.
"La première neurologue consultée avait émis quelques réserves, car je ne présentais pas l’un des symptômes classiques et typiques de la SLA, à savoir les fasciculations, qui sont des légers tremblements involontaires de la peau." Mais après une batterie d’examens, le diagnostic de SLA est bel et bien confirmé.

Des trois principales formes de SLA, Thierry est atteint de celle qui commence par une paralysie des membres inférieurs. "Je m’achète une canne, puis une béquille. Je fais l’acquisition d’une tribune, ensuite. Je peux encore aller à pied en haut de la rue, chez la kiné, et en bas, chez la pharmacienne. C’est mon test. Ma jambe gauche commence à se paralyser. Puis le bras gauche s’affaiblit. Une chaise roulante, mécanique, devient indispensable. Ce sera enfin, quelque temps plus tard, cette voiturette électrique."

Thierry a gardé une sensibilité totale dans les membres. Des douleurs ? Il n’en ressent pas particulièrement, si ce n’est la nuit où, faute de pouvoir bouger, il souffre du syndrome des jambes impatientes. Toutes les deux heures environ, il faut alors remuer ses jambes engourdies. "Je n’ai pas encore de souci au niveau de la respiration, nous confie-t-il, d’une voix pourtant très étouffée. En revanche les muscles intercostaux sont affaiblis et, mes cordes vocales ne recevant plus assez de souffle, ma voix est donc éraillée."
La maladie a changé sa vie, c’est une évidence. "J’ai toujours été très mobile et voyageur, nous dit-il. Et me voilà maintenant toute la journée dans une chaise électrique. Ce qui m’étonne, c’est que n’étant vraiment pas casanier, je suis finalement à l’aise quand je me retrouve à la maison où nous avons réaménagée tout le rez-de-chaussée. Mon ancien bureau est devenu notre chambre."

"Je suis en train de passer du ‘faire’ à l’‘être’. J’étais encore très actif, je donnais des cours et m’occupais de 36 choses différentes. Maintenant, c’est un mouvement d’intériorisation où il y a plus de temps pour la contemplation et l’émerveillement. Plus on s’intériorise, plus on devient sensible à la beauté du rouge-gorge qui vient sur la terrasse, des fleurs du jardin, des nuages qui passent Cette dimension poétique de la vie prend plus d’ampleur. Et la dimension spirituelle aussi forcément."

"Dans mon dernier livre, ‘Des racines pour l’avenir’, nous explique-t-il encore, je mets en regard la culture occidentale moderne et les cultures traditionnelles. Et je montre notamment que trois caractéristiques de notre culture moderne sont l’efficacité, la prévision et l’autonomie personnelle. Je suis en train de vivre l’exact opposé puisque je suis dans l’inefficacité, je ne sais plus rien prévoir quant à l’évolution de cette maladie et je suis totalement dépendant. C’est donc une véritable révolution copernicienne au niveau de mon vécu personnel. Et comme je suis très curieux de nature, je trouve cela fort intéressant."

Toujours positif, il poursuit : "Ce qui me paraît très beau, en plus, c’est que nous sommes entourés d’amis et nous vivons une solidarité extraordinaire. Il y a plein de choses très belles qui apparaissent. Si bien que Roseline et moi, au fond, nous sommes heureux, en tout cas pas moins qu’avant, peut-être plus Même s’il y a bien sûr des moments douloureux, comme les nuits qui deviennent de plus en plus difficiles, Roseline et moi, nous nous arrêtons aux bons moments que nous vivons et il y en a plein. Nous avons d’ailleurs pris l’habitude de nous dire : ‘Ceci est un bon moment. Rendons grâces ’ "

"Je ne suis pas dans la plainte ni dans la tristesse. Je m’accorde cinq minutes par jour pour grogner à huis clos et pour râler, nous avoue-t-il. Ainsi, l’autre jour, je suis tombé sur la tête, en arrière. J’ai râlé. Les jours qui ont suivi, j’ai écrit quatre poèmes, mais des poèmes noirs. Je pense qu’il est important de connecter en soi cette rage, cette humiliation de la dépendance, cette espèce d’impuissance qui me ronge dans mon impatience. Il y a des moments d’irritabilité rentrée."

"C’est vrai, cette maladie est une succession de deuils ; l’égo passe à la râpe à fromage. C’est un lâcher prise quotidien. J’aime beaucoup cette phrase de Christiane Singer qui dit : ‘Je ne suis pas la maladie, mais la maladie est en moi.’ Je ne m’identifie pas à la maladie ; je suis d’abord Thierry, pas un malade. La vie est beaucoup plus large, beaucoup plus belle que la maladie. Et je suis un amoureux de la vie." [ ]

"Un des cadeaux de cette maladie est que l’on relativise tout ; tout devient tellement relatif Quelque part, je me sens plus libre. Ce n’est pas une liberté extérieure mais une liberté intérieure. Ça, oui, elle grandit en moi."

Et la mort ? "Je sais que je vais mourir bientôt. Je sais aussi que la mort physique n’est qu’un passage qui fait partie de la vie. Je ne vis donc pas du tout cela avec angoisse. J’ai peur de souffrir évidemment. Je crains surtout que, si la souffrance devient trop grande, la douleur brute prenne le dessus. Je voudrais surtout ne pas devenir un grabataire aigri.[ ]"

"Mais pour moi, ce n’est pas une maladie, c’est une traversée vers la lumière, vers l’aurore."

Entretien avec Laurence Dardenne
LLB, Mis en ligne le 20/09/2012

Photo Johanna de Tessières