Bandeau
LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Après le film Home
Article mis en ligne le 18 août 2010
dernière modification le 3 septembre 2010

A quoi servent les débats ?
sont-ils utiles ?

Après le film Home diffusé en 2009 sur France 2, en seconde partie de soirée, le débat sur le thème "Comment sauver la planète ?" animé par Yves Calvi, a rassemblé 3,16 millions de téléspectateurs et 20,6% de part d’audience.

Réflexions
Stratégies pour changer

Un débat - par essence contradictoire même s’il y a une certaine unité de vue - implique des avis divergents qu’il faut pouvoir départager, à moins de rester avec des questions en suspens, sans réponse. Le téléspectateur qui n’a pas nécessairement les informations pour faire la synthèse et le tri peut en sortir soit avec l’envie d’en savoir plus, d’en discuter avec d’autres, soit avec un sentiment d’incertitude qu’il faut pouvoir gérer (*) (Edgar Morin estime que l’école n’enseigne pas la gestion de l’incertitude et que c’est pourtant une compétence qui sera de plus en plus essentielle dans l’avenir).
Il n’a pas nécessairement l’envie ou le temps d’aller chercher des informations par des lectures ou sur Internet.
L’idéal serait donc que le débat soit suivi par des groupes de discussion ayant l’objectif de tirer collectivement des conclusions pratiques pour chacun.
Soyons optimistes : supposons que le débat de "C’est dans l’air" aie suscité des échanges à la maison, entre amis ou au travail. On pourrait aussi, dans les classes ou les associations, envisager des groupes de discussion lancés en visionnant cette forme de débats, souvent bien menés.

Je suggère néanmoins quelques remarques.

Deux niveaux d’information se chevauchaient entre lesquels il n’est pas facile de faire la part des choses : les comportements individuels d’une part, et les politiques à promouvoir au niveau national, européen et mondial d’autre part.
Après le film HOME, très interpellant, le public - et des questions par SMS allaient dans ce sens - étaient demandeur de pistes de changement : que convient-il que je change concrètement dans ma vie de tous les jours ?

Quand les réponses sont mélangées de grandes considérations de politiques mondiales, il n’est pas facile de s’y retrouver.

On nous dit, par exemple, qu’il ne faut pas demander à la Chine des efforts qu’on n’a pu faire nous-mêmes, par exemple dans les rejets toxiques de leurs entreprises, l’exploitation du charbon, l’envie de consommer plus de viande ou de rouler en voiture. On nous dit aussi que ce sera perçu comme une accusation des pays émergents, de nature à bloquer toute avancée dans les négociations comme celles de Copenhague en automne 2009. Pourquoi les pays du Sud devrait-il faire les mêmes efforts que ceux que nous sommes (éventuellement) prêts (?) à faire chez nous, après avoir tant d’années profité de l’exploitation de la presque totalité des ressources mondiales ?
Ces considérations géostratégiques aident-elles le citoyen de chez nous à décider comment acheter plus écologiquement ?
Mais acheter plus écologiquement a-t-il un impact sur la géostratégie des gouvernements de la planète ?

Le débat nous apporte des informations contradictoires sur la réduction des forêts en Amérique du Sud, et sur les responsabilités dans l’exploitation sauvage du bois : les uns parlent des multinationales prédatrices, les autres évoquent les petits paysans qui défrichent parce qu’ils ont besoin de terre. Ou encore, comment concilier la nécessité d’avoir du bois pour faire du charbon de bois, seule ressource pour cuisiner et se chauffer, avec la protection de la forêt et de la faune (les gorilles dans le parc de la Virunga) ? A supposer qu’il y ait consensus sur les analyses (ce qui n’est déjà pas évident), ce sont là d’intéressantes constatations sur le macro-système. Mais quelles conclusions pouvons-nous en tirer concrètement pour notre quotidien ?

On nous dit aussi que l’eau tue aujourd’hui plus de personnes que le Sida, parce qu’elle est abondamment polluée en beaucoup d’endroits. C’est une information dure à entendre, qui donne envie de se mobiliser, mais comment faire ? Que faire ici pour que ça change là-bas ?

Un mélange de niveau de réponse et quelques pistes.

Tout cela mélangé au cours de ce long débat passionnant, comment trouver de grands axes de convergence, pour le quotidien de chacun d’entre nous ?

On me dira que c’est au téléspectateur, considéré comme adulte responsable, de tirer ses propres conclusions. Sans doute. Mais comment éviter que le cri d’alarme du film continue de résonner tandis que les questions concrètes restent là, toujours en suspens ?

Je suis convaincu que le fait de ne pas savoir quoi faire concrètement génère un sentiment d’impuissance qui peut aller jusqu’au déni : "C’est terrible, ce que vous me dites, mais s’il n’y a rien à faire, j’aime autant ne pas savoir", a dit un chauffeur de taxi à Anne Gouyon (* Réparer la planète, p. 20). "Cette situation n’a rien d’exceptionnel. Le déni est typique des situations d’impuissance", ajoute Anne Gouyon.

Sans vouloir décider à la place du public, il est utile de tracer quelques pistes.

La première à mettre en avant, c’est qu’une action strictement individuelle, n’est efficace que si elle s’insère dans un mouvement de fond qui implique des milliers de personnes.

Cela peut paraître étonnant, mais il y des choses que je ne suis pas prêt à changer tout seul, de ma propre initiative et que je serais grandement aidé à y être incité par une norme sociale imposée à tous. Il en a été ainsi pour la ceinture de sécurité, ou l’entretien de ma chaudière à mazout.
Il faut donc agir sur le plan législatif et fiscal : une action politique.

Les éducateurs connaissent peut-être la notion de zone proximale d’apprentissage de Vigotsky
Il y a des choses que je ne suis pas prêt à faire tout seul, mais bien si on est plusieurs. C’est aussi le principe de base du coaching. C’est en étant accompagné et soutenu qu’on apprend le mieux. Et les stratégies de changement sont très proche des stratégies d’apprentissage [1]

Une action individuelle peut-elle être efficace ?

Je voudrais partager deux autres réflexion. Une action individuelle n’est pas non plus efficace sans une action sur d’autres plans, communautaire, social, politique, institutionnel, et même mondial.

Al Gore a fait allusion à cette idée dans son discours d’acceptation pour le prix Nobel. Dans celui-ci, il a dit, “Nous devons abandonner la prétention que des actions individuelles, isolées et privées sont la réponse. Elles peuvent et doivent aider. Mais elles ne nous conduiront pas assez loin sans une action collective.”

Nicolas Hulot va encore plus loin en mettant en question les "écogestes", pour les mêmes raison.

Et inversement, une action politique sur les structures des Etats ou des organismes internationaux sera inefficace si elle n’est pas soutenue par des actions individuelles, des changement de manière de voir, de penser et de faire.

On peut schématiser, et dire alors qu’une action devrait pouvoir se situer à quatre niveaux différents.

Voici un exemple :
Si nous parlons de réduction des gaz à effet de serre,
• je peux, en tant qu’individu, rouler en vélo.
• Ma famille peut réduire les trajets quotidiens et renoncer à prendre l’avion pour les vacances.
• Mon village, ma ville ou mon quartier peut créer des pistes cyclables.
Tous ces éléments sont importants, mais si nous voulons vraiment modifier le système qui crée les gaz à effet de serre,
• le changement doit se faire à une échelle institutionnelle : le gouvernement met en œuvre une taxe sur le carbone, interdit les émissions de CO2 provenant des centrales électriques au charbon, etc.,
• autant qu’à l’échelle des "normes sociales" : que cela devienne habituel et normal de faire ses courses en vélo, d’utiliser les transports publics…

“Si vous voulez vraiment tirer le maximum de votre argent, il est utile de voir ce qui doit se produire à tous les niveaux. Par exemple, si mon but est de mettre fin à l’utilisation de sacs en plastique, il est important de faire attention à la façon dont mes actions influencent les pouvoirs publics dans le sens d’une interdiction de leur utilisation, et pas seulement que ma famille emporte des sacs réutilisables au magasin, et pas seulement que j’encourage le magasin ou la commune à offrir, par exemple, des sacs recyclables gratuits ou à très petits prix. Ainsi, nous pouvons envisager des actions à de nombreux niveaux.” (Le Symposium "Réveiller le Rêveur", qui précise aussi : “Pour changer des systèmes d’exploitation et d’oppression, le changement doit en fin de compte se refléter dans les institutions et les normes sociales de ces systèmes.”
 ?
Je propose dans un autre article, "Les neuf cases", une grille pour situer les “lieux de changements".

Une manière de voir où se situent les changements dans nos achats ?

Si vous décidez ce que va être votre travail, votre recherche d’idées, dans vos mouvements et les luttes qui vous appellent, cette grille peut aider à voir les mesures que que l’on peut prendre dans différents domaines.

J’ai croisé deux axes : en horizontale, le prix à payer pour un produit. En verticale, l’impact du produit sur l’environnement.

Bien entendu, on pourrait aussi dissocier environnement et éthique (les produits bons pour l’environnement mais produits dans des conditions éthiquement contestables, ou encore les produits éthiques mais qui viennent en avion de l’autre côté de la planète. Il y a aussi les différentes catégories d’impact environnemental, comme par exemple un produit bio qui vient d’Afrique du sud. Mais justement, ces balances sont à faire par des organismes adéquats, ONG ou certifiés, car elles impliquent des recherches qui demandent des informations que n’a pas le consommateur moyen.

On pourrait aussi raffiner la grille, en prenant en compte les différents impacts, comme l’énergie grise, l’eau virtuelle et le "sac à dos écologique"... Ces nouvelles notions sont apparues récemment et mériteraient des précisions. (Ce que j’ai le projet de faire un jour...)

C’est là qu’il faut distinguer les décisions qui sont du ressort de chaque personne, que chacun de nous peut prendre en connaissance de cause, et les arbitrages qui sont à faire par les organismes habilités (WWF, Crioc en Belgique, etc...) et/ou agréés, qui se basent sur des études scientifiques sérieuses et objectives (non financées par les industriels et les multinationales ! [2]

Informer, afficher les informations sur les produits

Un aspect essentiel qui recoupe ces deux axes est l’information au consommateur. Afficher des informations fiables et contrôlées sur un produit incitera le consommateur à y faire attention sans toutefois l’obliger à quoi que ce soit.

La société qui me fournit en eau du robinet m’informe de l’évolution de ma consommation en la comparant aux années précédentes. Je constate une diminution d’année en année, ce qui m’encourage à continuer à être attentif à économiser l’eau.

Il y a bien entendu un impact sur mon porte-monnaie, mais je peux me poser la question : cela a-t-il un impact sur l’avenir de la planète ? Il y a plusieurs niveaux de réponse.
• un premier avantage est de m’habituer, comme dit plus haut dans le débat de France 2, à un avenir prochain où l’eau sera une denrée rare et chère, notamment dès qu’on inclura vraiment dans le prix ce que coûteront les stations d’épuration (y compris l’impact écologique et carbone fabrication). Ceci me conduit à être attentif aussi au degré de pollution des eaux que je rejette, ce qui est sans doute plus important que ma consommation seule. [3]
• un second aspect est de considérer dans ma façon de penser que l’eau est une denrée précieuse, pas seulement pour ceux qui en manquent mais en soi, parce qu’elle est source de vie et comporte même un caractère sacré.
• il y a aussi l’effet papillon qui m’amène à considérer que mes petites actions sont porteuses de changement dans un “champs morphique” global ou, plus étayé scientifiquement, dans les mécanismes globaux de la vie, tenant compte de la théorie du chaos, et, plus simplement de la notion d’écosystème, que nul ne conteste.
• enfin, il y a une dimension “spirituelle” qui me fait entrer dans ce “nouveau paradigme” qui postule que je ne suis pas “séparé” de la nature et du reste du monde, mais un dans une unité de vie globale, où tout ce que je fais à une signification pour l’ensemble de la collectivité humaine. (cf. globaloneness.org)
A lire à ce sujet un article de Pierre Rabhi sur le sens du sacré.

Libre à chacun de choisir à quel niveau il se situe.
Libre d’ailleurs à chacun de décider quel sera son comportement par rapport à l’eau.
Mais en tout cas, je considère comme une avancée, un progrès, d’indiquer sur les factures d’eau le niveau de consommation de chaque ménage. Et peut être d’où elle vient.

Une parenthèse pour les enseignants : ne pourrait-on pas adopter la même vison pour les résultats scolaires d’un enfant ?

L’autre "Pouvoir d’achat"

Le pouvoir de l’acheteur sur le marché, du distributeur au fabricant...
Son arme, impitoyable s’il le veut : son porte-monnaie !

Une suite possible : ce que j’appelle l’autre pouvoir d’achat…(J’y reviendrai bientôt...)

Et aussi la simplicité volontaire, qu’on appelle aussi "sobriété heureuse" à la suite de Pierre Rabhi. Un petit tour à faire du côté des Colibris...

(à suivre...)

Michel Simonis