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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

"Face aux fake news, il faut retrouver les idéaux du journalisme"
Article mis en ligne le 24 avril 2024
dernière modification le 18 janvier 2025

Dans Pour les faits, petit ouvrage aussi vivifiant que pénétrant, la journaliste et philosophe Géraldine Muhlmann interroge la notion de fait, à l’heure où ce dernier est une réalité qui divise. Cruciaux pour notre vie intellectuelle - intellectuelle notamment -, qui est de plus en plus bousculée par les fake news, les faits méritaient bien un plaidoyer.

Plaidoyer que formule avec force Geneviève Simon, Journaliste, professeure à l’Université Paris-Panthéon-Assas et productrice de l’émission quotidienne Avec philosophie sur France Culture.

Extraits d’un article de La Libre, Geneviève Simon, Journaliste. Publié le 11-02-2024.


https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcastsRadio France
Géraldine Muhlmann présente son émission quotidienne de France Culture dédiée à la philosophie.

Avant même d’être objectifs, les faits sont, selon vous, sensibles. En quoi ?

Contrairement à la petite musique ambiante qui dit “à chacun ses faits”, je pense qu’il n’y a pas de société sans le pari d’un partage du sensible. À force de moquer cela, tout le monde s’enferme dans son petit monde et le monde commun devient douteux, abstrait. On ne sait plus ce qu’est un fait réel parce que nous avons perdu l’habitude d’un partage du sensible dans une relative confiance.

Avec des publics de plus en plus morcelés, qui lisent des récits différents, et la tendance des réseaux sociaux comme des talk-shows à préférer la conversation aux faits récoltés par des observateurs, cette question du commun devient cruciale.

À la fin du XIXe siècle, les journalistes d’opinion s’adressaient à de petits publics, auxquels ils proposaient surtout des tribunes, des critiques, des éditoriaux. L’enjeu du récit des “faits” n’était pas central, ni considéré avec une immense rigueur. Les Européens le savent peu, mais cette tendance a été contrée par l’invention, par les Américains, de la presse d’information, qui voulait rompre avec les publics d’opinion, restreints, où forcément l’opinion dominante tend à laisser de côté les faits pour elle “inconfortables” ou “désagréables”, comme disait Max Weber. Les nouveaux patrons de presse voulaient s’adresser à tous, et, à cette fin, publier avant tout des “histoires”, c’est-à-dire mettre dans le journal moins de “discours”, et plus de “récit”, pour reprendre une distinction de Gérard Genette. Ils formaient leurs reporters pour qu’ils taisent tout jugement personnel, leur interdisant d’éditorialiser, les poussant à raconter en rendant leur récit recevable par le plus grand nombre.
On ne connaît plus cette situation où tout le monde a lu le même article, ou vu le même reportage, quitte, ensuite, à ce qu’on s’affronte sur la manière de juger.
À nouveau, désormais, on a beaucoup de publics, dont les conversations ont tendance à être dans le discours plutôt que le récit, et peu soigneuses des faits.

La grande victime de cette conversation démultipliée, c’est la curiosité…

Hérité des Lumières et de la fin du XIXe siècle, le goût pour les faits, autrement dit la curiosité, est la grande vertu du reporter. Une curiosité simple, enfantine comme le disait Baudelaire, de celui qui ouvre les yeux sans tout de suite juger, et qui essaie de ramasser du matériau factuel, de laisser le réel s’imposer à lui. Cette curiosité ne fait pas forcément plaisir à mon opinion, elle me place en tout cas dans une dimension qui met de côté mes opinions. Aujourd’hui, les opinions sont tout le temps sur le devant de la scène, et ces opinions brident le regard et la curiosité.

L’intelligence artificielle produit désormais des images et des vidéos bluffantes, ce qui ébranle la confiance et conforte le témoin dans son rôle irremplaçable.

Les images vont devenir de plus en plus douteuses, inquiétantes, car bientôt on va créer des images qui ressemblent à des images réelles, alors qu’elles sont totalement fausses. Les vidéos feront dire à quiconque n’importe quoi. Je suis inquiète : comment va-t-on faire quand on ne pourra plus croire en rien ? Il nous faudra bien renouer avec ce vieux machin qui nous vient des Lumières écossaises du XVIIIe siècle : l’idéal de l’observateur impartial, qui a trouvé toute sa portée sociale, au XIXe siècle, dans la figure du reporter, véritable “témoin-ambassadeur” du public. Mandaté par nous, il va avec son corps observer, pour nous livrer les choses sur un mode universalisable, sans empoisonner son témoignage sensible par trop d’opinion. C’est un vieux machin par rapport à l’IA, mais que nous reste-t-il d’autre ? Il faudra bien que quelqu’un vérifie qui a pris l’image, et dans quelles circonstances. J’espère que cela réhabilitera cette figure du reporter sans laquelle aucune société non chaotique n’est possible, à mon avis.

Avec les fake news, le ver est déjà dans le fruit, la confiance est ébranlée. Êtes-vous pessimiste ?

Ce qui m’inquiète est l’envie de beaucoup de rester dans leur bulle d’opinion, et le fait que nous sommes en train de nous enfermer, non pas dans un conflit démocratique, ce qui serait sain, mais au contraire dans un hermétisme. Si chacun est dans sa bulle, il n’y a pas de conflit, puisque pour avoir un conflit, il faut du commun sur lequel s’affronter. Cette situation m’inquiète. Trump et ses faits alternatifs sont en grande forme. Mais je pense qu’au bout du compte, les humains retrouveront confiance dans d’autres humains pour leur raconter des histoires, cela va finir par revenir.

LIRE LA SUITE dans l’article de La Libre