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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

"La beauté est l’acte de résistance ultime" (Hany Abu-Assad)
The Idol" : Une voix pour Gaza
Article mis en ligne le 31 mai 2016

Ce film émouvant de Hany Abu-Assad, nominé aux Oscars pour Paradise Now et Omar, raconte l’histoire authentique du chanteur palestinien Mohammad Assaf, qui a remporté en 2013 l’Arab Idol.

  • The Idol" : Une voix pour Gaza

Critique du Soir (11 mai 2016)

Après deux films bouleversants sur le conflit israélo-palestinien (Paradise Now en 2005 et Omar en 2013), le réalisateur palestinien Hany Abu-Assad élargit son spectre pour son film le plus ouvert tout en restant fidèle à ses racines. C’est un peu cliché de l’écrire mais The Idol est vraiment le genre de film qui fait du bien aujourd’hui. Un long-métrage généreux et sensible qui en fait une espèce de Slumdog Millionaire à la sauce gazaoui.

Hany Abu-Assad nous raconte l’histoire vraie de Mohammed Assaf, un chanteur de mariages dans un camp de réfugiés à Gaza, qui va rejoindre clandestinement l’Egypte et Le Caire, participer à Arab Idol et devenir le premier Palestinien à remporter le concours ultra-populaire dans le monde arabe.

Vous l’avez compris, tous les ingrédients du « feel good movie » sont réunis pour nous faire passer plus qu’un bon moment. Des débuts, où le jeune homme et sa frangine forment un groupe et se la jouent au culot mais ce qui frappe déjà à l’époque, c’est la voix incroyable de Mohammed.

En 2012, le chanteur joue dans un groupe pour la Palestinian Idol mais pour de multiples raisons propres à la situation extrêmement compliquée en Palestine, le jeune homme doit passer à la vitesse supérieure, traverser (la scène est formidable) la frontière de Gaza en Egypte pour se rendre aux éliminatoires d’Arab Idol.

Grâce à un sens du rythme digne d’un thriller, Hany Abu-Assad maintient la tension même si on connaît déjà la fin. Un final où on se réjouit pour Mohammed Assaf (joliment interprété par Tawfeek Barhom) qui devient la fierté de tout un peuple qui a trop rarement l’occasion de célébrer…

La Libre (11 mai 2016)

Une évocation touchante de l’épopée d’un jeune chanteur palestinien.
Le 22 juin 2013, la Bande de Gaza est en ébullition ; les gens sont dans la rue. Quaf que cette fois, ce n’est pas pour crier leur colère mais pour soutenir… un chanteur. Ce soir-là, Mohammed Assaf, 23 ans, remporte la finale d’"Arab Idol", show musical diffusé dans tout le monde arabe par MBC Networks. Si le jeune homme déclenche tant d’enthousiasme, c’est qu’il est beau, qu’il a une voix superbe qui magnifie ses chansons d’amour. C’est aussi qu’il est Palestinien et que sa seule présence, chaque semaine devant des millions de téléspectateurs, a une dimension politique : il a réussi à quitter Gaza pour aller chanter librement en Egypte.

C’est ce destin singulier que retrace le réalisateur palestinien Hany Abu-Assad. Racontant, peu ou prou la même histoire, celle d’un gamin sauvé de la misère par la téléréalité, la comparaison avec le "Slumdog Millionnaire" est inévitable. A ceci prêt que le film de Danny Boyle n’était pas tiré d’une histoire vraie et que la dimension politique était absente. Avec "The Idol", elle est au contraire omniprésente.

Entretien (extraits) avec Hany Abu-Assad

Le cinéaste palestinien revient avec un film fort pour parler du besoin d’identité palestinienne.

Né en 1961 à Nazareth, Hany Abu-Assad a percé en 2005 grâce au très fort "Paradise Now", plongée glaçante dans la tête de deux candidats palestiniens à un attentat-suicide en Israël. Après s’être égaré aux Etats-Unis ("The Courrier"), le cinéaste a continué à aborder la réalité palestinienne avec "Omar" (2013) et désormais "The Idol", qu’il dévoilait en janvier dernier au Festival de Rotterdam, où nous l’avons rencontré.

Quel souvenir gardez-vous du parcours de Mohammed Assaf à l’émission de téléréalité "Arab Idol" ?

La première fois que j’en ai entendu parler, c’était à Cannes, où je présentais "Omar". Je dînais avec ma sœur, qui m’a raconté l’histoire de ce chanteur. Je ne regarde pas ce type de programmes mais j’étais intrigué. J’ai donc regardé le dernier épisode où il a gagné à Nazareth, avec des milliers de personnes réunies sur une des places. J’ai été touché de voir autant de personnes : les jeunes, les vieux, les pauvres, les riches, les musulmans, les chrétiens, les religieux, les non-religieux… Tous réunis par l’art. Contrairement au sport, l’art parle à tout le monde. Et surtout la musique, bien plus que la peinture, l’écriture ou même le cinéma. L’art peut réunir les gens, leur donner une inspiration, un réconfort.

Y avait-il aussi une dimension politique dans cette ferveur autour d’un jeune chanteur palestinien ?

Pas directement. Sinon que vous vivez sous l’occupation… Soit le pire visage d’Israël, celui qui refuse de considérer les Palestiniens comme des égaux, qui voudrait qu’ils restent invisibles. L’espoir de l’aile droite israélienne, c’est que les Palestiniens perdent tout espoir, se résignent ou émigrent. Mais l’art permet de s’élever. La beauté est l’acte de résistance ultime. Quand votre art devient universel, vous devenez un cauchemar pour ces gens. Ils bossent à vous rendre invisibles et vous devenez visibles grâce à la beauté. Dans tous les journaux, Netanyahou parle de vous comme de terroristes et vous, vous arrivez avec un film qui inspire les gens… Dire "Je suis Palestinien", cela signifie que vous croyez encore en vous. Et ce malgré toute la propagande, toutes les défaites subies depuis 60 ans…

Vous êtes-vous retrouvé dans le personnage d’Assaf ? Vous aussi, en tant que Palestinien, avez choisi l’art pour trouver la liberté…

Bien sûr que j’y ai pensé. Même si un chanteur sera toujours plus populaire qu’un réalisateur (sauf Tarantino…), le voyage est le même. Juste en disant : "Je suis Palestinien", on résiste. Et je me reconnais dans cette idée que le talent, l’art sont plus puissants que l’Occupation. Je m’en suis rendu compte avec "Paradise Now". La machine de guerre israélienne a des F-16, des tanks… Ils ne servent qu’à tuer. C’est cela qu’on retiendra dans 50 ans, quand ils rouilleront au fond du désert. J’espère au contraire que "Paradise Now" restera comme document sur des êtres humains à qui on demande d’être des héros alors qu’ils n’en ont pas envie…

Avez-vous demandé à Mohammed Assaf d’interpréter son propre rôle ?

J’aurais bien voulu mais c’était trop pour lui ; il avait tellement peur… Mais c’est pour ça que le film est fidèle à son expérience. Il a été forcé d’agir, de laisser sa voix se faire entendre. Mais ça l’a dépassé ; il s’est perdu en chemin. Pour moi, c’est une fin triste…

(…)

Vous avez tourné à Gaza avec des enfants de la ville, tous incroyables… Comment les avez-vous trouvés ?

A la sortie des écoles, sur Facebook, dans des clubs. Partout où les enfants ont envie de devenir acteurs. On a enregistré plein d’enfants et on en a gardé 20, dont j’ai fait le casting via Skype parce qu’au début, je n’avais pas encore la permission d’aller à Gaza. Sur ces 20 enfants, on en a choisi quatre, tous incroyables. Quand on vit à Gaza, que la peur de la mort est quotidienne, on a une envie de vivre incroyable ; on n’a peur de rien. Ces enfants n’ont pas peur de se mettre à nu émotionnellement, de se montrer vulnérables, d’essayer et d’échouer. Ils vivent comme des boulets de canon. Inconsciemment, ils savent qu’ils peuvent mourir à tout instant…

Pourquoi était-ce important pour vous de tourner sur place, à Gaza ?

La chose la plus importante dans un film, c’est la vraisemblance des personnages, des lieux, des dialogues, de la caméra, des couleurs. Tous ces choix aident le public à croire en l’histoire. Dans ce cas, Gaza est cruciale. Comment rendre cette histoire crédible sans tourner sur place ? Gaza est un endroit très spécial ; même la mer est différente. C’est impossible à recréer. Comment imaginer, par exemple, ces jeux d’enfants, que l’on a vus là-bas ?

Comment s’est déroulé le tournage à Gaza ?

Cela a été très difficile. Il a fallu quantité de permissions et on n’avait que quelques jours de tournage. La principale difficulté, c’est la logistique. On a pris le matériel minimum : la caméra et quelques optiques ; tout est fait en lumière naturelle. Maintenant, j’en rigole mais c’est impossible de savoir ce que c’est sans l’avoir vécu. C’est plus une sensation en fait. Ici, tout vous semble acquis… Là-bas, il n’y a pas d’électricité le soir, parfois la journée. C’est vraiment étrange. Ce manque de tout vous force à être très créatif. On a par exemple dû fabriquer une dolly avec les moyens du bord…

HUBERT HEYRENDT
Publié dans La Libre le mercredi 11 mai 2016


La première européenne de "The Idol" avait lieu en janvier dernier au Festival de Rotterdam. Ce n’est pas un hasard… Le Palestinien Hany Abu-Assad a en effet fait ses études à Rotterdam. Bero Beyer (directeur artistique du festival de Rotterdam) fut notamment le producteur courageux de l’impressionnant "Paradise Now", découvert en Compétition à Berlin en 2005 avant de devenir le premier film palestinien nominé à l’Oscar.

Paradise Now

Le tournage de "Paradise Now" en 2004 a été un enfer, Hany Abu-Assad et son équipe ayant, au risque de leurs vies, tourné en zone de guerre, avec des cadavres qui s’amoncelaient autour d’eux. "Parfois, l’odeur des corps explosés me revient. C’est la même que celle d’un barbecue…", se souvient le cinéaste.
S’il avoue qu’il ne referait pas ce film choc aujourd’hui, ce n’est pas pour cela. Ni parce que le climat n’est plus à la "sympathie pour les terroristes" - il ne l’était pas plus dans le climat post-11 Septembre d’alors. "J’ai changé. Il faut être très naïf pour faire un tel film. J’ai perdu ma virginité…", explique Abu-Assad, qui en revient pourtant toujours à la terre palestinienne. "On ne peut pas fuir la Palestine. Fuir signifie qu’on est lâche. C’est la pire des choses ! Pourtant, je filme souvent des gens qui fuient. Peut-être parce qu’au fond de moi je suis lâche et que je ne peux l’accepter…"