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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Enseignement : éveiller l’émotion
Article mis en ligne le 31 mai 2016

Il semblerait qu’au quotidien, l’émotion ne soit pas toujours la bienvenue. Il s’agit surtout de ne pas montrer sa faiblesse et de se battre. Et si nous, profs, étions justement là pour la susciter ? Une opinion de Cécile Verbeeren, professeur de français en 6e technique de qualification dans une école d’Anderlecht.

Première sortie au théâtre de l’année. Le thème : la normalité. "Il n’y a que des personnes handicapées qui jouent dans cette pièce ou quoi, Madame ?" Ha Tahfenewai !, une épatante création de Sophie Warnant, pose un point de vue engagé sur la maladie mentale.

Mardi 03 mai. Deuxième sortie au théâtre. Le thème : la bisexualité. "Vous nous emmenez voir un truc porno ou quoi, Madame ?" La Théorie du Y, une excellente pièce écrite et mise en scène par Caroline Taillet, abordant avec malice le douloureux sujet du choix, de la détermination dans l’amour.

Les élèves sont assis au premier rang. Cette place ne les met pas à l’abri de l’ascenseur émotionnel qu’ils vont vivre. Pour chacune des deux pièces, l’émotion les submerge. Et pourtant, dans les rangées, ça crâne, ça parle fort, ça enchaîne les réflexions à voix haute et les rires nerveux. Sous cette carapace, un certain malaise se fait ressentir : les jeunes sont interpellés et étrangement bouleversés par ce qu’ils voient et entendent. Juste devant eux, les comédiens se mettent à nu et les thèmes "touchy" qui sont abordés les entraînent dans un vertige qu’ils n’ont pas vu venir.

C’est là toute la beauté du théâtre engagé : il s’empare de sujets de société avec charme, talent et pertinence. Qui peut prétendre en faire autant ? Ni les films, ni les séries, ni les réseaux sociaux, ni la famille, ni l’école, ni la société. Un lien perceptible se crée entre les comédiens et le public. Or, les jeunes n’ont plus l’habitude de tisser une relation déjà profonde sur un laps de temps aussi court. C’est probablement cela qui instaure un trouble : cette tension entre réel et fictif, entre dénonciation et création, entre amour et dégoût.

La normalité, la (bi) sexualité… sont des thèmes qui taraudent les adolescents tous les jours, des pensées qu’ils souhaitent combattre et dont ils tentent de se libérer en faisant un choix : mais lequel ? Le souhait, en les emmenant au théâtre, est celui de leur donner l’occasion de ressentir leurs émotions, de prendre conscience de celles-ci, afin d’arriver intuitivement à décider, à choisir une direction, que ce soit dans un sens ou dans un autre.

Il semblerait qu’au quotidien, l’émotion ne soit pas toujours la bienvenue. Il s’agit de ne surtout pas montrer sa faiblesse, mais de continuer à se battre. Chausser chaque matin ses souliers de pèlerin et reprendre la route. Dans cette lutte quotidienne, à quel moment les élèves se posent-ils la question des sentiments, des ressentis, bref, de l’émotion ? Est-ce normal que je sois comme ça ? Suis-je différent ? Comment me définir ? Est-ce un tort d’être hétéro, homo, d’aimer tout le monde ? Avons-nous à choisir ? La folie ou la banalité ? Ou… un peu des deux ?

Beaucoup de professeurs fermeront la porte en disant, avec justesse, que cela ne fait pas partie de leurs attributions de gérer les émotions des élèves. Mais peut-être le rôle de chacun de nous est-il de susciter cette émotion ? D’aller chercher la sensibilité créatrice de tout un chacun ? Celle qui donne certaines réponses aux questions existentielles, qui ouvre des horizons nouveaux. Ou celle qui nous permet de prendre distance, de nous protéger parfois et de nous octroyer un peu de répit.

L’émotion effraie car elle est par nature incontrôlable. Elle a le pouvoir de nous entraîner vers l’équilibre ou la folie. Osons l’émotion ! Celle qui donne l’accès à l’innovation et l’inventivité. Il serait peut-être réconfortant de révéler aux jeunes la part de création qui peut surgir d’un moment d’émotion. Debout sur les planches, les comédiens se dévoilent. Ils se dénudent pour créer ce lien imperceptible avec le public. Ils font naître l’émotion et donnent à vingt-huit élèves l’envie d’évoluer, de "devenir", d’inventer et choisir leur propre chemin.

CONTRIBUTION EXTERNE Publié dans La Libre le lundi 09 mai 2016