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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Soigner la terre, mieux nourrir les hommes
Article mis en ligne le 4 octobre 2012
dernière modification le 23 janvier 2013

Voici la préface, signée Pierre Rabhi, de ce beau livre qui vient de paraître :

Le manuel des jardins agroécologiques

Dans cet ouvrage que Terre et Humanisme vient de publier, ses animateurs présentent pas à pas l’approche agroécologique du potager et les savoirs-faire nécessaires à sa conduite. Ils partagent leurs expériences agroécologiques ardéchoises et africaines, et témoignent de la transformation profonde qu’opèrent les retrouvailles avec la terre.

Richement illustré d’images et de dessins explicatifs, ce livre comprend aussi une quinzaine de fiches techniques et de nombreuses informations pratiques. Qu’ils soient jardiniers amateurs, paysans, agroécologistes ou non, les lecteurs y trouveront de quoi renouveler leurs pratiques et leurs réflexions, ainsi qu’une belle opportunité de changer de vision, et donc de société. [1]

L’agroécologie : une méthode agronomique efficace, une éthique, une esthétique au service de l’humain et de la nature

J’ai depuis presque cinquante ans voué ma vie à l’écologie et à l’agroécologie. L’efficacité de cette dernière n’est pas contestable, même et surtout dans les conditions les plus défavorables comme les terres semi-arides du Sahel, où elle s’est révélée être l’unique réponse, Elle m’a, chemin faisant, ouvert à bien des interrogations sur le sens de l’existence. Car s’en tenir à substituer l’agrobiologie à l’agriculture chimique et la réduire à une alternative serait très réducteur et préjudiciable à l’envergure du sujet, qui n’est rien de moins que notre survie. C’est la raison pour laquelle le présent ouvrage ne peut être réduit, comme de nombreux autres, à un simple manuel pratique. Un préambule à caractère philosophique me parait indispensable, dans un contexte où même l’écologie officielle ne prend pas en compte les déterminants non visibles et tout ce qui touche il notre être profond, Ma brève contribution à cet ouvrage consiste donc à m’aventurer dans un espace qui, pour n’être pas factuel, n’en est pas moins d’une importance majeure,

Pour rendre intelligible l’agroécologie dans ses options élémentaires, la formule de Lavoisier "Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme" est tout à fait appropriée. Elle nous place au cœur de la réflexion sur la vie comme principe universel. En effet, sans cette sorte de loi, la vie sur Terre se serait depuis longtemps interrompue et nous n’existerions pas pour vivre et jouir de ses dons, en admire’ l’intelligence transcendante, mais aussi et malheureusement en subir les rigueurs et les aléas dont la plupart sont de notre fait, la nature n’y étant pour rien. hormis les analyses et les considérations objectives à la portée de notre capacité à appréhender cette réalité, la dimension du réel nous est par contre inaccessible. Nous savons que la pensée, aussi puissante qu’elle puisse être, restera éternellement limitée. Les plus grands savants parmi ceux qui ont influencé le cours de l’histoire humaine reconnaissent humblement que nos connaissances, aussi vastes qu’elles puissent être, s’exercent dans un océan d’ignorance. C’est cette inconnaissance qui a fait proclamer à Socrate, avec une lucidité fulgurante,

le fameux "Je sais que je ne sais rien". Cela une fois bien établi, nous sommes contraints, pour agir, de penser dans l’espace que nous pouvons appréhender. Nous sommes ainsi au cœur des nombreux phénomènes élémentaires sur une petite planète vivante, au sein d’un désert astral et sidéral également hors de toute mesure. Dans ce désert, notre petit vaisseau prend l’allure d’un véritable miracle dès que nous examinons les conditions improbables qui lui ont permis d’advenir. Après ces constats objectifs, nous arrivons aux limites de nos spéculations sur le tangible. Au-delà s’ouvre le champ où fleurissent les hypothèses de toutes natures, essentiellement métaphysiques. C’est alors que le "Rien ne se crée" pose problème, car cela supposerait qu’il n’y a pas de créateur - une volonté Initiale, un auteur avec une intention, etc. On sait combien de controverses et de conflits ont été motivés par ces questions impossibles. La planète Terre en est toujours convulsée et nous ne nous attarderons pas sur ces questions, laissant à chacune et à chacun sa foi ou son imaginaire.

Dans le domaine de l’intangible, on reste songeur, par exemple, devant les effets induits par l’homéopathie. Dans la logique de cette thérapeutique, la force agissante d’une substance matérielle identifiée s’accroît avec l’augmentation de sa dilution. Cet étrange phénomène est réel et le fameux effet placebo invoqué par les rationalistes ne tient pas pour ceux, et j’en suis, qui ont expérimenté des prescriptions homéopathiques à haute dilution, testées même sur les animaux. Ces constats donneraient à penser, en toute logique, qu’au commencement serait le subtil. Pour établir les règles de l’agriculture biodynamique et augmenter les qualités vitales des denrées issues de la terre, l’anthroposophe Rudolf Steiner a pris en compte ce phénomène physique. J’ai personnellement pu constater les effets des fameux préparats "homéopathiques" inoculés à des tas de compost destinés à fertiliser la terre [2]. Ces quelques brèves considérations, de nature plutôt méditative et interrogative, ne sont pas là pour faire savant en s’aventurant dans des spéculations quasi métaphysiques, mais pour essayer, s’il est possible, d’attirer l’attention du public sur des phénomènes de grande importance, occultés, niés et dénigrés par le positivisme ambiant trop souvent péremptoire, inspirant des règles et des lois arbitraires. Compte tenu de l’enjeu qui n’est rien de moins que la survie alimentaire de l’humanité, nous ne pouvons en conscience passer sous silence toutes ces graves questions.

Par ailleurs et plus qu’en toute autre époque, celle d’aujourd’hui est entièrement dépendante de la combustion énergétique sans laquelle elle serait anéantie. Avec la technologie sophistiquée, nous disposons d’outils d’une efficacité jusque·là inconnue, au service du meilleur comme du pire. C’est dire combien l’élévation et l’éveil des consciences sont plus que jamais absolument déterminants si nous voulons qu’il y ait une continuité de l’histoire. La production alimentaire qui ne dépendrait que de la combustion énergétique est donc en danger. Le recours à l’énergie métabolique humaine (c’est-à-dire l’énergie physique, biologique que porte chacun de nous) et animale n’est pas, dans le contexte, une absurdité. Des politiques intelligentes devraient préconiser et soutenir des initiatives allant dans ce sens. Elles devraient, dans le marasme et les incertitudes qui ne cessent de croître, favoriser l’installation de nouveaux paysans sur des structures à taille humaine. Dans le contexte de l’abondance artificielle, les vingt ou trente centimètres de terre auxquels chacune et chacun de nous doit la vie, de la manière la plus rigoureuse, sont détruits. L’avidité humaine, chaque jour et sur l’ensemble de la biosphère, dissipe un trésor qui, plus que l’or ou le diamant, est irremplaçable. Nous déplorons le fait que, malgré l’immense générosité de la terre nourricière, un milliard d’êtres humains meurent d’inanition et trois milliards sont en état de survie, et que le reste de la population mondiale nantie non seulement soit en suralimentation, mais le soit avec des denrées rendues insalubres par la chimie, très préjudiciables à la santé publique et causant très certainement des pathologies lourdes. Cette alimentation résulte de pratiques agricoles qui ne peuvent produire sans détruire les sols, polluer les eaux et l’ai’, ruiner et dissiper le patrimoine semencier que l’humanité n’a cessé d’enrichir et de transmettre de génération en génération depuis dix mille ans, date de l’avènement de la fameuse révolution néolithique, avec la naissance de l’agriculteur et de l’agriculture. Cette dissipation se fait au profit de semences non reproductibles et avec, en particulier, l’imposture criminelle des plantes génétiquement modifiées. De plus, nous sommes bien obligés de constater que l’avènement de l’agriculture a été - aussi avec la domestication des animaux et l’extension des terres cultivées - la cause de grandes désertifications du fait d’un défrichement immodéré, imputable à ce que nous appelons les "grandes et antiques" civilisations, dont nous admirons les vestiges. [3]

Aujourd’hui, la préservation de la terre nourricière contre l’intensification de sa destruction devrait faire l’objet de dispositifs juridiques internationaux prioritaires. Notre approche de l’agriculture par l’agroécologie prend en compte toutes ces données négatives, si nous voulons être en phase avec l’ensemble des réalités indissociables qui composent la question de la survie du genre humain. A la problématique de la terre, il faut ajouter celle des forêts, des océans, des fleuves, et les précieuses ressources alimentaires qu’ils recèlent, épuisées également et condamnant les générations à venir à n’avoir aucun avenir. Le temps est plus que venu pour l’humanité de prendre conscience de son inconscience. C’est pour toutes ces raisons que l’approche de l’agroécologie par l’association Terre & Humanisme ne peut être réduite à une simple alternative agronomique. Cette dernière peut parfaitement être détournée par les mêmes esprits responsables du désordre prédateur qui domine le monde. On peut manger bio, recycler ses déchets, se chauffer à l’énergie solaire et néanmoins exploiter son prochain. L’humanisme tel que nous l’entendons se fonde sur un changement de société par le changement individuel. Il n’y a en cela aucun moralisme de circonstance, mais un réalisme incontournable, car la société telle qu’elle est et telle qu’elle va est le résultat de la subjectivité humaine. C’est pourquoi l’agroécologie ne peut être dissociée d’une éthique rigoureuse, qui fasse de la modération et de la juste mesure une puissance constructive : une société où la satisfaction des nécessités vitales produise également la satisfaction psychologique, émotionnelle et morale. En répondant efficacement aux impératifs de la vie et de la survie biologique, en respectant et en régénérant le patrimoine nourricier, en étant accessible aux paysans les plus démunis, sans aucun recours aux intrants" chimiques issus du pétrole et avec bien d’autres avantages encore, l’agroécologie est aujourd’hui la seule réponse pertinente et rationnelle à la problématique de l’alimentation. Cette affirmation se fonde sur des années de pratique mise à l’épreuve des faits. j’ai personnellement consigné ce que j’avance dans un ouvrage intitulé L’Offrande au crépuscule [4]], couronné du prix des Sciences sociales agricoles du ministère de l’Agriculture français en 1989.

Pour conclure, je souhaite partager avec vous une expérience forte, qui est pour moi extrêmement significative. Il m’arrive parfois de déposer une graine dans la paume de ma main. Son insignifiance est telle que le moindre souffle peut l’emporter et la faire disparaître à mes yeux. Mais je sais que cette insignifiance n’est qu’apparence. Car j’ai à faire à une puissante concentration de vie. En affirmant qu’un seul grain de blé recèle en lui de qui nourrir une multitude d’êtres humains, je ne suis pas victime d’un délire, je ne suis pas dans la métaphore, mais dans le vrai. Alors comment, en dépit d’une telle prodigalité, justifier lespénuries et les famines dont sont victimes les trop nombreux "damnés" de la terre, en particuliers ces enfants qui, dès la naissance, entrent en agonie faute de ce bien irremplaçable qui porte le beau nom de nourriture ? Le moment n’est certes pas à l’apitoiement tellement facile et au recours à l’humanitaire pour corriger les défaillances de l’humanisme. Face à ce crève-coeur, l’agroécologie est une réponse magistrale, et c’est pour lui permettre la plus large propagation possible que nous créons des structures dédiées à cette mission au Nord, au Sud et ailleurs encore. Nous espérons que le présent ouvrage contribuera à rassembler et à rendre intelligible notre mission passionnée au service de la terre et de l’humanisme.

PIERRE RABHI

(Ouverture d’un stage à Terre & Humanisme)