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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Ethique et pratique de gynécologue
Certificats de virginité
Traces du passé, mais très actuel…
Article mis en ligne le 16 novembre 2009
dernière modification le 28 septembre 2012

Les gynécologues sont confrontées aujourd’hui à de bien étranges demandes.

La façon dont le Dr Françoise Kruyen se sort de situations très paradoxales est exemplaire d’une façon éthique de traiter une série de problèmes difficiles qui se posent aux travailleurs sociaux.

Ne rien faire pour rester cohérent avec ses valeurs, c’est laisser des personnes démunies se débrouiller toutes seules dans des conditions de vie impossibles. Agir pour aider, c’est se mettre en contradiction avec soi-même.

Cette manière de se sortir de ce piège éthique me parait utile à avoir en tête quand il s’agit de réfléchir à une question comme le foulard ou le voile.

Et il y a sans doute une série d’autres questions qui pourraient s’éclairer de cette façon.

Pour ma part, j’ai trouvé très éclairant et très utile les informations qu’apporte Madame Françoise Kruyen à l’occasion de cette réflexion sur la société de culture ou de tradition musulmane que nous côtoyons tous les jours, en général avec beaucoup d’ignorance et parfois avec quelques préjugés...

Voici de larges extraits significatifs de cet article très pointu paru dans "Secouez-vous les idées" du Cesep. Je vous recommande de lire l’article en entier sur le site du Cesep.

J’ai mis en vert ma propre réflexion, en noir les extraits de l’article, en brun les passages que je me suis permis de souligner dans le texte de Françoise Kruyen.
Je n’ai pas repris ici les notes de l’article, elles se trouvent dans le document publilé sur le site du Cesep.

Voici comment Françoise Kruyken introduit son intervention :

Éthique et pratique de gynécologue : ?certificats de virginité et réfection d’hymen.

par Dr. Françoise KRUYEN, Gynécologue

 
A la mémoire de Nadia H.

 

Introduction  ?

Le travail qui suit a été présenté dans un colloque international organisé par les "Femmes Prévoyantes " en avril 2009 sur le thème : " A qui appartient le corps des femmes ? ".?
Il m’avait été demandé de développer une réflexion au départ de questions problématiques rencontrées dans ma pratique de gynécologue, en rapport avec le thème du colloque.?
J’ai choisi de focaliser mon attention sur la seule question de la virginité (...) afin d’apporter à mon propos toutes les informations et nuances qu’il mérite.

Si l’on examine la littérature médicale, les articles publiés dans les médias et les opinions exprimées sur des forums d’Internet, l’on découvre que le problème des certificats de virginité et de la réfection d’hymen s’est posé depuis longtemps de façon très sporadique mais que depuis une petite dizaine d’années, cette question a pris une dimension bien plus importante et a donné lieu à de nombreux débats.
(...)

Le premier aspect qu’aborde l’article de Françoise Kruyken est la situation des femmes dans la société, et en particulier de celles de la minorité musulmane dans nos pays européens. Avec un rappel historique éclairant et bien salutaire. Et une analyse percutante de la situation sociale des populations immigrées chez nous.

Virginité ?

"Il n’est pas rare que des jeunes filles autochtones viennent me consulter pour me demander si elles sont encore vierges…Ma réponse est invariablement :

"C’est vous seule qui avez la réponse à cette question. Un examen gynécologique n’aurait aucun sens pour vous renseigner". Mais, justement, la réponse elles ne l’ont pas, dans la confusion où elles sont de savoir si les jeux sexuels auxquels elles ont joué sont de nature à les déposséder de leur "qualité" de vierge.

Si la virginité prénuptiale est une notion socialement désuète dans nos sociétés occidentales d’aujourd’hui, n’oublions pas que cette norme n’a évolué pour nous que relativement récemment.?Avant les années 60, en France, la virginité des jeunes filles au mariage était encore considérée comme " très importante " par 80% des personnes.1 [1]

L’importance de la virginité prénuptiale n’est pas spécifique au monde musulman.

Méfions-nous d’établir des raccourcis en stigmatisant trop facilement la position de l’Islam à l’égard des femmes.

_ ?Le Coran, textuellement, ne parle pas de la virginité et seules des interprétations du texte ont fait émerger cette notion.?
Dans tout le bassin méditerranéen cette norme est respectée par des populations de religions très différentes : Italie et Espagne catholiques, Grèce orthodoxe… dans bien d’autres régions du monde aussi, d’ailleurs.
_ ?L’Église Catholique a conféré une valeur mystique à la virginité.
_ ?L’Islam classique n’était certes pas plus misogyne que la religion catholique de la même époque : les femmes y jouissaient d’une certaine autonomie, de droits multiples et participaient à la vie de la cité.3

Après le XVIème siècle, l’évolution de l’Islam se fait vers une augmentation des contraintes juridiques, sociales et culturelles, d’une régression des arts et des sciences au profit d’une théologie plus dogmatique.
_ ?Dans un tel contexte, la situation de la femme ne va pas manquer de se dégrader.4

Sur la question de la place et de la situation de la femme, la religion n’est pas la seule ni la meilleure grille de lecture car l’évolution de la société civile est plus importante et plus déterminante 5 : il est intéressant, par exemple, de noter que sous la pression de législations d’inspiration laïque, le droit de vote fut accordé aux femmes dans des pays musulmans bien avant qu’il ne le fût dans certains pays d’Europe (en 1934 en Turquie - avant la France - et en 1956 en Tunisie - avant la Suisse !6).?L’évolution des pays musulmans vers un radicalisme islamique et une emprise du religieux sur le civil ne s’est faite, hélas, qu’au mépris des droits des femmes et au renforcement du patriarcat (comme ce fut le cas, par exemple, en Iran).

Dans les sociétés patriarcales les femmes sont instituées principaux agents d’application des préceptes et des normes, même lorsque ceux-ci sont contraires à leurs intérêts… Impuissantes ou complices, les mères, les tantes, les marieuses ou les voisines, s’acquittent le plus souvent de leur charge de gardiennes de l’honneur de la famille et donc de leurs filles, sous peine de mettre en cause leur identité de femme et leur propre place dans le système familial et culturel.?En situation d’immigration, le modèle familial traditionnel, privé de son assise culturelle et environnementale se trouve fragilisé et conduit souvent par réaction à un repli sur soi et sur les traditions. Les mères, et les filles, se trouvent prises au piège de la solidarité familiale et de la nécessité de défendre une identité culturelle collective, même si ce qui est en cause n’est en fait qu’une culture décontextualisée, bricolée à partir de traits isolés et déformés de la culture des origines. Même si, encore une fois, et comme toujours, elles se trouvent acculées à défendre cela même qui les oppresse"." [2]7

Il y a une vingtaine d’années, les filles issues de l’immigration maghrébine n’hésitaient pas à jouer un rôle hors de la famille et à occuper l’espace public. Bonnes élèves, elles réussissaient à l’école, travaillaient à l’extérieur et n’avaient pas peur de s’exprimer et de revendiquer des droits.

Depuis une dizaine d’années, le chômage et la précarité ont modifié cette situation : l’inactivité des pères (mis à la retraite ou licenciés), le manque de perspective d’emploi pour les fils, leur décrochage scolaire dans une société qui les marginalise, tout ceci a concouru à la dégradation de la situation sociale de ces familles et la première conséquence de cette dégradation a été le renforcement du contrôle exercé sur les filles par les hommes (père et surtout frères) avec, d’ailleurs, d’autant plus de sévérité que le statut des hommes à l’extérieur du foyer était contesté ou dévalorisé.

Rois au sein de la cellule familiale et inexistants dehors… n’ayant aucune emprise sur l’exclusion subie… les garçons se sont retournés par réaction non pas contre la société… mais contre les sœurs et l’ensemble des filles en exerçant leur oppression dans l’espace géographique réduit qu’est la cité, le seul qu’ils ont l’impression de maîtriser."8

L’honneur de la famille repose donc désormais et quasi exclusivement sur ?"l’honneur des filles" c’est-à-dire, leur virginité et leur soumission aux règles patriarcales… pire encore, la virginité des filles semble devenir l’emblème de l’honneur et de la virilité des garçons et le défaut de virginité équivaut à l’impuissance masculine et au déshonneur." (retour à l’article introductif)

La second aspect qui me parait intéressant à relever déborde de la question de la virginité, qui est la partie immergée de l’iceberg, et plonge dans les arrières fonds sociétaux, avec un éclairage interpellant sur le rôle des hommes.

Virginité et chasteté.

Chez les chrétiens, les prêtres et, souvent, les religieux font voeu de chasteté. Ce qui n’est pas la même chose que la virginité. Pourquoi le concept de virginité se déploie-t-il différemment pour les femmes que pour les hommes ? Cette différence n’a pas de sens du point de vue religieux, ni dans le Coran, ni dans le christianisme. Le Coran, comme la tradition chrétienne, fait de la virginité ou de la "chasteté" une vertu, c’est à dire une force ("virtus") ou une qualité ("le cercle des qualités" qui fait partie de la "guérison de l’âme", programme soufi de cheminement spirituel). Il s’agit, comme le disait mon interlocutrice de Mostaganem, de discrétion et de pudeur.

Même si, dans notre éducation, il vient un moment où il convient que les petites filles se tiennent bien, cessent de montrer leur culotte ou de lancer leurs jambes en l’air, même si on ne dit cela autrement aux petits garçons, cela vaut pour les hommes comme pour les femmes. A partir de l’âge où la naïveté enfantine laisse place à la séduction consciente.

Il s’agit donc d’autre chose.
Je reviens à Françoise Kruyken.

"L’association entre la notion de virginité et le contrôle quasi policier de l’hymen fut dénoncé à de nombreuses époques par des esprits ouverts.
Je citerai ici un extrait de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert où Buffon, le grand naturaliste, s’exprime en ces termes12 : "Les hommes, jaloux des privautés en tout genre, ont toujours fait grand cas de ce qu’ils ont cru posséder exclusivement et les premiers ; c’est cette espèce de folie qui a fait un être réel de la virginité des filles. La virginité, qui est un être moral, une vertu qui ne consiste que dans la pureté du cœur, est devenue un objet physique dont tous les hommes se sont occupés ; ils ont établi sur cela des opinions, des usages, des cérémonies, des superstitions, et même des jugements et des peines ; les abus illicites et les coutumes les plus déshonnêtes ont été autorisés ; l’on a soumis à l’examen des matrones ignorantes et exposé aux yeux des médecins prévenus les parties les plus secrètes de la nature, sans songer qu’une telle indécence est un attentat contre la virginité ; que c’est la violer que de chercher à la connaître (…)"

" Testut, dans son admirable traité d’anatomie15, déclarait : "Que devient alors cette croyance, si profondément enracinée dans l’esprit des masses, que la présence de l’hymen est pour la femme un signe certain de sa virginité, et n’est-ce pas le cas de répéter que cette virginité n’est pas une formation anatomique, mais, comme l’a dit Buffon, " un être moral, une vertu qui ne consiste que dans la pureté du cœur "’…L’examen de l’hymen est donc si peu révélateur que son utilité dans la question qui nous occupe doit être considérée comme nulle." (retour à l’article introductif)

Le troisième aspect aborde la manière de donner une juste réponse aux demandes foireuses qui lui sont faites à l’intervenant, qu’il s’agisse du médecin, du juge, du psychothérapeute, du psychologue ou de l’assistant social ou de l’infirmière...
Si l’aspect religieux s’efface dans l’analyse devant la question socio-culturelle de la virginité - même si, en façade, c’est l’aspect religieux qui est mis en avant, bien sûr plus facile à regarder en face (ce n’est pas moi qui veux, c’est Dieu et son Prophète) - on peut commencer à réfléchir autrement sur d’autres questions similaires. Par exemple sur le voile comme symbole de virginité.
J’invite donc le lecteur à une lecture parallèle et créative, à utiliser sa "pensée divergente", suivre ce qui est écrit et transposer à d’autres domaines...

Sexe, mensonges et idéaux ?

La question qui se pose est : un médecin doit-il donner suite aux demandes de certificat de virginité et/ou de réfection d’hymen ??
A cette question, il n’est pas de bonne réponse car c’est la question elle-même qui est problématique.

Comme médecin, confrontée à une telle demande, je me trouve face à un véritable problème éthique : ?
Accepter d’y répondre signifie participer à un mensonge dont l’enjeu est détestable, à reconnaître le corps et l’histoire d’une femme comme des objets soumis à l’ordre social et à l’ordre patriarcal. Par contre, refuser, c’est nier le drame humain qui se joue en toile de fond, c’est ne pas reconnaître l’état de nécessité de la patiente, la renvoyer à la solitude voire à l’exclusion ou à la violence.
Entre accepter et refuser, de multiples conflits de valeurs s’affrontent :

 conflit entre des principes (égalité des sexes, autonomie et respect des personnes) et la réalité (soumission inacceptable des femmes).
 ?- conflit entre l’honnêteté qui doit prévaloir dans la rédaction d’un certificat et le mensonge consenti au nom d’un "intérêt jugé supérieur".?
 conflit entre le fait de reconnaître à l’hymen une valeur alors que je suis convaincue qu’il n’en a pas.
 ?- conflit entre des valeurs différentes reconnues par deux cultures aux normes différentes.
 ?- conflit entre revendication de valeurs laïques et soumission aux impératifs religieux.

Problème éthique donc, dans la mesure où l’éthique consiste à étudier les principes sur lesquels fonder une action supposée "bonne".

Le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français a fait des recommandations claires et sans appel sur cette question :

"Non les médecins et en particulier les gynécologues obstétriciens ne sont pas là pour rédiger des certificats de virginité qui sont une atteinte manifeste à la dignité de la femme.
_ ?Non les gynécologues obstétriciens ne sont pas là pour refaire les hymens, faciliter le mensonge et finalement aider à perpétuer une tradition d’un autre âge."
16

Sur le principe, je souscris totalement à ces paroles. Mon objection est d’ordre pratique :

 Refuser d’établir un certificat de virginité, c’est cautionner la valeur mythique de l’hymen comme garant de la virginité.
 ?Étant persuadée de la non pertinence de l’examen de l’hymen pour établir la virginité, je n’ai personnellement pas de résistance à déclarer vierge une femme en lui évitant un examen aussi inutile qu’injurieux. Rédiger le certificat c’est nier toute valeur à l’hymen, j’y souscris.

 Refuser la plastie d’hymen, c’est ignorer la détresse de la demandeuse et la renvoyer à l’arbitraire de sa condition, au bannissement et peut-être même à la violence, c’est risquer de la voir exposée à un médecin sans scrupules, sans expérience ou qui va jouer le jeu du patriarcat.

Prendre en compte la détresse et tenter d’y apporter une réponse est un des principes directeurs de mon engagement de médecin.?
Je suis donc une gynécologue féministe qui accepte de pratiquer, au nom d’une certaine hiérarchie de valeurs, des actes que je réprouve de façon théorique si on les dégage du contexte. Cela est paradoxal, j’en conviens…

Mais parlons, justement, de ce contexte :

Dans les cas qui nous préoccupent, je n’ai jamais accepté de répondre à l’injonction de tiers.
Je ne prends en considération que la parole de la femme concernée.?
J’exige toujours d’avoir avec la patiente un entretien en tête-à-tête, sans témoins
 : c’est l’occasion de préciser la demande, d’évaluer les éventuelles pressions (mariage forcé ?), l’état d’esprit et les marges de manœuvre de la requérante.
(...)"

Et voici la conclusion de l’auteure, élargissant la problématique et surtout, incitant à suivre des pistes d’action qui nous concernent tous.
C’est une vraie oeuvre salutaire que de partir d’une question très ciblée, très pointue, et d’y faire apparaître toutes les ramifications pour l’élargir à une dimension qui nous engagent tous, qui que nous soyons.

Perspectives

 ?Je considère évidemment que cette façon de faire n’est qu’un "pis-aller" très discutable et ne peut que représenter une étape transitoire dans le chemin qui conduira les femmes vers l’acquisition de leur autonomie.

Depuis une quinzaine d’années émerge dans diverses communautés musulmanes d’Afrique, d’Asie, d’Europe et des États-Unis un mouvement de féminisme islamique.
_ ?Le féminisme islamique fait de l’égalité des sexes une composante à part entière de la notion coranique d’égalité de tous les êtres humains et appelle à la mise en œuvre de cette égalité des sexes dans les sphères étatique et institutionnelle ainsi que dans la vie privée.

Le féminisme islamique s’est donné comme tâche d’exposer et d’éradiquer les idées et les pratiques patriarcales présentées comme islamiques et de raviver l’idée centrale en Islam de l’égalité homme-femme (inséparable de l’égalité de tous les êtres humains).17

A coté des mouvements intellectuels, il existe aussi des associations (comme en Belgique " l’Arabesque ") qui luttent pour la promotion de l’autonomie des femmes des milieux populaires en leur permettant de s’exprimer, de mettre des mots sur des difficultés, des aspirations, des désirs, de prendre conscience des inégalités, de confronter des points de vue, de construire ensemble un savoir critique.18

Accompagner et soutenir les femmes et les mouvements qui luttent de l’intérieur de l’Islam pour l’égalité des sexes est un impératif plus vaste et bien plus pertinent que de bricoler des solutions individuelles pour répondre à des problèmes collectifs.

Lutter chez nous contre l’exclusion sociale et culturelle… et dans les pays à majorité islamique, contre les régimes conservateurs et non démocratiques procède aussi de ce soutien car "dans ces pays, l’émancipation des femmes est partie intégrante de l’émancipation de la société ."19


Dr Françoise KRUYEN ?
Gynécologue

L’article complet, les compléments, les notes se trouvent à l’adresse http://www.cesep.be/ (retour à l’article introductif)